mardi 14 août 2018

Honte originelle


Adam et Ève1528, 
Lucas Cranach l’Ancien


A — Pourquoi les femmes que j’aime sont-elles nulles envers moi ? — B — Sans doute ont-elles peur, sans “ll”, de se retrouver nues devant toi ?

vendredi 1 juin 2018

De la supériorité de l’ÊTRE sur l’AVOIR (en abordant le DEVENIR)

Dans les yeux de Sœren il y a l’Idée, regarde !
Søren Kierkegaard (1813-1855) 
par Niels Christian Kierkegaard vers 1840



Il y a ÊTRE et AVOIR. ÊTRE nous pare de nos qualités les plus variées. Seul ÊTRE rend possible le DEVENIR. AVOIR comporte une logique binaire (avoir ou ne pas avoir) et numérale (avoir en quantité, ou en manquer). 

Aucune philosophie pérenne, aucune poésie véridique, ne peuvent se fonder sur AVOIR sans comprendre en même temps ÊTRE. Car AVOIR sans ÊTRE réduirait l’existence à un spectacle, où le billet d’entrée serait la seule preuve que le spectateur assiste bien à une mise en scène, contrairement à la réalité telle qu’elle est communément vécue. Preuve bien fragile et sujette à mille tracas si l’on venait à la perdre ou si l’annulation du spectacle exigeait un légitime remboursement, et qui ne résisterait pas à l’épreuve du temps lorsque viendrait pour nous l’instant du ressouvenir, l’âme emplie de l’attente émue d’une réminiscence qui prouverait la valeur du spectacle depuis longtemps terminé, par-delà l’ogre indifférent des ans, mais hélas... les doigts fébrilement cramponnés à un vulgaire bout de carton ! Seul ÊTRE, sans titre de transport ni billet, permet de distinguer la vérité du spectacle. 

Il y a un joli verbe anglais qui combine ÊTRE et AVOIR : BEHAVE, se comporter. Il est bon de savoir se comporter convenablement. Mais il est beau de savoir se comporter dignement à travers l’épreuve du DEVENIR. Voilà pourquoi seules les trois possibilités ÊTRE, AVOIR, DEVENIR en même temps peuvent satisfaire au besoin de sagesse auquel chacun de nous se propose de répondre.


Si j’énonce enfin cet aphorisme :


Aimer, grogner, pleurer et rire, tels sont les quatre stades du dionysiaque. 


On peut observer que :

— AVOIR seul est un constat lassant, une morne énumération : avoir aimé ; avoir grogné ; avoir pleuré ; avoir ri. 

Qui se satisferait uniquement d’AVOIR ? 

— ÊTRE seul est plus réjouissant, mais laisse à désirer : être aimé, être aimable, être amoureux ; être grognon ; être en pleurs ; être riant.

Mais si ÊTRE est plein de vertus, il exige qu’on lui donne un sens. 

Voilà pourquoi DEVENIR, avec ÊTRE et AVOIR, c’est se lancer dans l’inconnu avec les possibilités qui donnent à la vie sa valeur d’être vécue.

mardi 3 avril 2018

Maître Oliver sur un grain de pollen

Image © David Rolland



Maître Oliver était gros comme tout l’Univers entier. Il était tellement gros qu’il aurait pu contenir à lui seul toutes les planètes, toutes les étoiles, toutes les galaxies et tout le vide qu’il y avait entre elles.

Le Maître de l’Univers vint à la rencontre de Maître Oliver, et puisqu’il le trouvait malheureux, il lui dit ceci : « Si tu continues à grossir, tu vas devenir encore plus grand que l’Univers, et nous serons si serrés qu’il risquera d’exploser. Écoute : je vais te donner une potion qui va te faire maigrir juste comme il faut pour que tu rétrécisses à l’échelle universelle. » Le Maître de l’Univers lui tendit un flacon, puis il retourna se promener dans l’Univers. Maître Oliver considéra le flacon, tout en se disant : « Hélas ! Si je pouvais maigrir, je trouverais peut-être un lieu où je serais chez moi. Là, peut-être, je ne gênerais plus personne ! » Car les galaxies, les étoiles et même les planètes avaient bien des fois remarqué que Maître Oliver les empêchait de circuler à leur gré, tant il était gigantesque et depuis si longtemps encombrant.

Un jour, il aperçut, non loin de lui, une petite galaxie qui lui plaisait, et il voulut y entrer, mais comme il était trop gros, cela lui était impossible. Il prit alors le flacon, et promptement il avala une gorgée de la potion. Sitôt fait, il maigrit tant et tant qu’il put entrer dans la galaxie, sans rien bousculer. En parcourant les recoins de ses bras en spirales, il aperçut une belle étoile dorée. Il désira l’admirer de plus près, mais il était encore si imposant que sa stature lui interdisait toute chance de pouvoir s’en approcher sans faire fuir tout son voisinage. « Qu’à cela ne tienne, se dit-il, je n’ai qu’à boire une seule gorgée de la potion que le Maître de l’Univers m’a donné, et je serai assez mince pour me faufiler à côté de cet astre joyeux habillé de clarté. » Il se servit goulûment une bonne rasade du délicieux breuvage, et aussitôt, il rapetissa douze mille fois pour venir se tenir dans le vide à côté de l’étoile. 

En la regardant, il vit autour d’elle une magnifique planète bleue, la plus merveilleuse qui fût à ses yeux dans l’Univers. Maître Oliver pensa : « Si seulement je pouvais poser le pied sur cette belle planète ! Mais je suis encore trop énorme pour ne pas risquer de la fracasser en miettes. » Alors, puisqu’il lui restait encore un peu de potion, il la vida jusqu’à la dernière goutte, et il fit tout de suite la taille idéale pour visiter la Terre. En atterrissant, tous les habitants lui souhaitèrent la bienvenue. Rassuré par un si bon accueil, Maître Oliver chercha un endroit confortable pour se reposer. Il sentait depuis un bon moment l’appétit chatouiller ses papilles, mais rien pour le nourrir, et personne ne l’avait encore invité à dîner. 

Il se promenait au gré de sa faim, qui grandissait, lorsque au bord d'un chemin, dans une petite prairie, il trouva une ruche d’abeilles, qui venaient de-ci de-là déposer leur récolte de miel en bourdonnant gaiement... Il avait l’esprit et les yeux grands ouverts... Lui qui était le grand Maître d’une grande et formidable planète très lointaine, située aux confins d’un immense Univers lui aussi fort éloigné, après un si long voyage et une si incroyable aventure, il pouvait bien emprunter leur repas aux abeilles, qui s’en soucierait...? À l’idée d’une telle merveille à savourer, sa nature réjouie s’apprêta à manger : « Si j’étais juste assez petit, je pourrais y entrer et goûter de leur miel… » Il allait ingurgiter une nouvelle fois sa potion, mais son flacon, entièrement vide, ne contenait plus la moindre goutte du précieux élixir ! Soudain, le Maître de l’Univers apparut devant lui : « Mon fils, tant pis pour toi, et tant mieux pour les autres ! Es-tu donc si gourmand ? En entrant dans leur ruche, les abeilles te piqueraient sûrement les unes après les autres, et ton corps gonflé de boutons détruirait leur maison. » 

Bien vite, Oliver comprit la leçon de son maître : « Eurêka ! La ruche accueillante ressemble à une galaxie... Les abeilles si nombreuses remuent comme des étoiles... Les grains de pollen que j’aime tant sont autant de planètes !!! Le Maître de l’Univers ne m’a sans doute pas aidé à mincir pour que je détruise leur Univers. Je vais demander à l’apiculteur de m’offrir du miel. »  

À la tombée du jour, Maître Oliver alla sonner chez l’apiculteur. Celui-ci lui offrit du miel et un lit pour la nuit. En dormant, Maître Oliver fit un rêve, dans lequel une vision nouvelle annonçait un extraordinaire avenir qui lui était promis : « Demain, songeait-il en rêvant, j’irai voir l’astronome. En lui racontant tous les secrets que je connais, les mystères insoupçonnés de l’Univers feront le bonheur des petits et des grands… » Et ce matin-là, Maître Oliver se leva comme un homme neuf, en prenant son premier petit-déjeuner sur la Terre.