mercredi 22 septembre 2021

CHRONIQUE : Le Platon des mirlitons

  

 

Si donc un homme en apparence capable, par son habileté, de prendre toutes les formes et de tout imiter, venait dans notre ville pour s'y produire, lui et ses poèmes, nous le saluerions bien bas comme un être sacré, étonnant, agréable ; mais nous lui dirions qu'il n'y a point d'homme comme lui dans notre cité et qu'il ne peut y en avoir ; puis nous l'enverrions dans une autre ville, après avoir versé de la myrrhe sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes. 

(Platon, République, Livre III, 398)





Poésie, où vas-tu ? Poète, que fais-tu ?

La critique la plus éparse et la plus crasse vous requiert.


Toute la profession était convoquée. Le procureur se présente, ébouriffé. Tout le monde embrasse son voisin. Le procureur, ému, déclare à l’assemblée :


Je suis l’humour, d’une charité prodigieuse, 

qui provoque le rire et les aveux de l’hypocrite.

Poète, il est mort le printemps !


J’entends ta langue poétique au devenir philosophique, elle est réglée comme du papier à musique, j’entends. J’entends qu’on dit aussi beaucoup de mal à ton sujet. J’entends grincer les arts désaccordés. Il y a parmi vous force salauds. Exemple : le salaud qui a pris le parti de la rime... C’est un mauvais parti de droite !


J’aperçois maintenant quelque part, dans le fond, sans audace, la nostalgie qui abat tant d’alexandrins, à faire soupirer d’ennui nos plus grands mètres...


Avancez à la barre, grand-mère, doucement...


Je n’y arriverai jamais !


Votre absence n’en sera que plus éloquente.

Enfin, je requiers contre vous tous de l’humour ! Grand absent de vos fresques... Je vous en conterai les frasques dont moi-même, par amour, j’ai embrassé naguère la carrière... littéraire... c’était... aux ides de l’hiver... je crois bien... février ?

Mmmhgrmmhhlhmlle...


Assez bonimenté ! Assez de fariboles !

Maintenant donnez-moi la parole !

a crié la défense de la poésie.


La défense de la poésie, faiblement au début, a parlé, parlé, de plus en plus rapidement, elle a parlé et parlé tant qu’une heure après on y serait encore. Elle nous a raconté sa vie, la pauvre, un sacrifice épouvantable... Elle se rendait bien compte, la malheureuse, un édifice interminable... Et personne ne savait. Tout le monde s’en moquait. Personne ne riait.


On a dû l’expulser et appeler l’avocat de la défense de la poésie, parce que sans avocat, la critique n’aurait pas été équitable. Son plaidoyer, hanté par le démon du rêve, a ranimé les vocations brisées :


Contre nous de la poésie / les éditions

sont dédiées / aux tombeaux des poètes !


Contre qui est-ce qu’on crie à la moindre comète présage d’irruption d’une image funeste dans le sage décor à la mode de la fête ? C’est contre les poètes !


Surgir !


Contre nous de la poésie / les lettrés

farcis de théories / les lettrés farcis de théories !


On en publiera dans leur dos, sous le manteau !


Ce système de répression !

Tant de poéticiens et si peu d’amoureux

Ose dicter ses conceptions !

éconduits suffit-il au bonheur d’être deux,

Et manipuler l’opinion !

en tête-à-tête avec un livre, avec un être, 

Les politiciens le paieront !

heureux ou malheureux, puisque par la fenêtre...

C’est contre les poètes !


Surgir !


J’envoie les huissiers ! Le vers ! La rime ! Et la rimaille ! Le Poète ! Le Grand Vérificateur !


Surgir !


Contre nous de la poésie !


Ça suffit ! Ça suffit ! ont hurlé le procureur et la critique.


On a donc terminé comme ça, sur le métier de beau parleur, l’avocat qui met des mots sur les tristes réalités. Il a menti, bien-sûr, surtout lors de serments très parodiques, mais il était connu, apprécié de tous, et fort applaudi.


La critique réunie a alors appelé l’accusé. Ça tremblait de partout, crise de vers. Ça se gondolait comme un grand accordéon. La vie de chien pleurait dans les bras d’une étoile. Des brancardiers hélitreuillaient l’argot du dico moribond.


Accusé, levez-vous !


Le poète, accusé, se lève et se prononce. Il nous rend son verdict : 


Liberté ferme !


Pour entrave à la beauté.


Et tout le monde s’est encore embrassé. Tout le monde a porté l’espoir à bout de bras. Le monde a soulevé l’humour au désespoir. Le monde a salué la critique empressée. Tout le monde était là pour continuer la fête. Chacun de nous désirait savourer une part du poème. C’était un gros poème à l’art et à la crème ! C’était la poésie elle-même qui distribuait les parts. Le poète lui-même versait du coulis à la framboise, sur les pages et les phrases, au fond des vers. Tout le monde disait : 


Comme c’est délicieux ! 

Comme c’est merveilleux ! 

C’est peu, mais si précieux !


Jusqu’à ce qu’un vers s’écriât : Je deviens vert !


L’affolement a rapidement gagné la cérémonie. Même parmi les figures confirmées ! Même la poésie engagée ! Même les plus courageux ! Panique générale ! Incident au plus fort de la fête ! Soudain les vues de l’esprit ont fondu sur la crème des poètes ! Ça s’est mis à gueuler, et puis à dégueuler ! Il a fallu tout nettoyer, les sonnets qui bavaient, le mascara des rimes qui coulaient, ivres mortes... Y’avait des métaphores qui se prenaient pour Dieu. Tous les textes tenaient des propos décousus. Un vent de suspicion s’est abattu sur nous. Des nuées a surgi un vieil esprit bourru : c’était Platon, nous étions convoqués. Les muses parturientes, expulsées par décret, menottées, sans poème ni raison, ont fini la soirée en dégrisement.


C’était forcément une folie, le premier Platon des mirlitons !



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