Affichage des articles dont le libellé est critique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est critique. Afficher tous les articles

jeudi 4 mai 2023

La poésie sacrifiée


Le Bouc émissaire, William Holman Hunt, 1854


 La poésie sacrifiée


D’abord il y a l’idée immonde d’insinuer qu’un poète classique doit être âgé ou mort.


Puis celle de « faire ce que je dis… pas ce que je fais… »


Viennent les abus presque délictueux pour susciter les soupçons permanents, engendrés par des communications où domine systématiquement le style indirect, voire insensé, où se perd l’art.


Après le travail de mémoire, et avec elle, on doit savamment se départir du sens historique, à moins de nous rendre fous si on l’impose à tout bout de champ sans l’évoquer.


On peut se choquer progressivement de constater l’opacité de pouvoirs entre les mains, non d’élus, mais de n’importe quels amis dénués du moindre égard et de la moindre estime hors de leurs cercles apeurés.


Il est fort pénible d’être témoins que les plus anciens de nos poètes et les gloires posthumes sont bafoués par d’innombrables originaux, dont le seul point commun est la connivence pour ne poétiser que dans leurs langues innovantes codifiées, et d’exclure jalousement ceux qui ont le don de savoir faire la même chose en langue et en poésie française.


L’idée se tient de redéfinir le mérite des poètes. Pas « les premiers seront les derniers », qui dénote d’une erreur de lecture et d’une démesure qui assimile ce pouvoir au pouvoir religieux, qui n’y correspond absolument pas. Des poètes en grand nombre peuvent se dire et s’entendre dire, eux aussi, de revoir leurs copies, sans que cela les heurte, au lieu d’envahir les librairies de poèmes à peine ébauchés. Ni un diplôme, ni une filiation, ni un service, ne peuvent servir de troc au lieu de l’art de poète et l’art de lecteur, l’art de faire un livre non avec des calculateurs ou des « gens du bouquin », mais avec des artisans du métier des livres. Des individus cultivés ne peuvent se satisfaire de pourcentages, même d’un seul, qui ne dit rien, surtout pas qui veut lire des poèmes et si les livres de poésie sont lus, avec quel bonheur. Lorsque la philosophie vend des livres, elle s’achète et se cultive, elle se médite et se prononce, elle est étudiée, a priori, bénéfiquement, on peut l’apprécier entre adeptes et passants. La poésie peut répondre aux mêmes critères de diffusion et de difficulté, de recherche et de culture. Son effet, sa lecture, son bénéfice culturel s’apprécient autrement que la philosophie, plus sourdement et implicitement, longuement non traduite afin d’apprendre à l’aimer en la langue de son pays et dans les sphères où on la parle et sait la lire. 


Associer la lecture en principe préparée, artiste, apaisée, à une peine, à une chose pénible, c’est un choix absurde, qui impose aux poèmes l’opposé de leur vocation.


Quel que soit leur style, les poètes devraient éviter de se commettre trop souvent avec les pouvoirs décisionnaires de leur marché, auxquels personne ne gagne à se rendre désagréable plus que de raison ; ou bien chaque partie prenante à ce jeu, tout poète a fortiori, se devrait d’en rendre compte dans un langage des plus directement raisonnés et conscients des problèmes les plus vifs, tel que celui de l’exclusion d’un style. Et ce avec la plus grande impartialité.


Enfin, il serait évidemment grossier de produire un artifice et une trahison telle que la résurgence spectaculaire et soudain vantée de ce style si longtemps dénigré, en s’obstinant à tenir à l’écart ceux qui l’ont cultivé pendant ces années. Comme une génération que ses éducateurs auraient sautée, prise en étau entre l’ancienne et la nouvelle, cela n’aurait plus le goût amer du fiel, mais l’aspect du sacrifice de boucs émissaires, si sordide, à vous glacer le sang, chers innocents.

lundi 21 novembre 2022

La condition du livre

Socratefresque de l'Antiquité tardive
musée archéologique d'Éphèse.


Il y a, il y eut, de ces mensonges… ivres…

de folies… Mensonges qui déplaisent OU PAS… 

à tort, ou pas… d’accord, mais bon, PAS à PERPÈTE !

Je vous en promets, moi, des livres,

à une condition, deux points d’honneur : les vivre !

On reste tous en vie, c’est déjà pas trop mal…

Il y a beaucoup mieux à respecter, aimer.

J’appelle les valeurs, adéquates, « fatales » :

Elles portent ce nom pour vivre et s’exprimer.

La vie est plus fatale qu’un désir de prendre.

La vie prend le meilleur, presque tout, pour s’apprendre.

La vie, avant, après, se vit dans le présent.

Elle endurcit sa cause, on lui doit ces instants.

Qui suis-je pour juger ? a dit François, du Vatican.

François est Pape, il lit les livres pour Jésus, vivant.

À tous ces livres, de tous temps, on a donné

le peu qu’on sait, c’est tout… pour du vrai, étrenner.

 

 

vendredi 18 novembre 2022

Du chien à l’aube

Œuf du 15 mars 2023, pour J. & A.
Signé David Rolland, avec Pixelmator.




Parfois, je pense que le Plouc de la méchanceté d’un cœur de pierre a heureusement trouvé sa Patrie dans une nation, celle d’un grand Pays, qui commence par l’F que l’on veut bien reprendre avec l’E de la R, l’Art de la Reconnaissance. 


samedi 5 novembre 2022

De la haine du lecteur jusqu’à l’issue normale


La Liseuse, Jean-Honoré Fragonard, vers 1770.


Des poèmes dégoûtés


Quand on veut faire du neuf en littérature au mépris de ce qu’on veut juger dépassé, on veut non seulement assumer ses innovations mais surtout assumer de convertir les lecteurs à ses innovations, y compris en lecture. L’assentiment ne suffit pas, les chiffres des ventes non plus. Or rien de ce qui se lit ne peut se faire sans intelligence. Or on attend souvent en vain des pensées et des idées poétiques au sujet de la lecture, pas seulement adressées à l’abstrait lecteur que l’auteur imagine à l’autre bout de la page. Or le consumérisme fait flamber, entendez par là surfaire et se volatiliser, le cours de la valeur de la poésie actuelle. L’embourgeoisement guette les livres. La poésie et l’humanité, quand elles ne sont pas réduites à la honte dans des consciences qui sont nombreuses, sont victimes de persécutions, pour mieux dire d’un harcèlement mené, nécessairement avec conscience par des écrivains reconnus. Sinon, si l’inconscience les domine, ce n’est pas un dieu mais un démon qui peut nous sauver. Or il n’est plus question que ce soit la poésie qui le fasse : la poésie est une idée erronée qui peut, au mieux, devenir plus juste. Or il y a un bel avenir pour les erreurs en voie de réajustement, en renonçant à l’autorité morale des uns sur les autres, en délaissant le pouvoir qui prétexte que son savoir la rend décisive. 



De la poésie nouvelle


Logiquement, la poésie éprise d’innovation a la phobie de l’ancien, l’avant : c’est déjà beaucoup, c’est presque immense. Est-ce sa seule phobie, peut-être, mais corrélée à celle de l’autre, qui existe dans les poètes qui évoquent un peu trop l’avant, l’ancien, selon la poésie nouvelle. Schématiquement, à la beauté peut se substituer la laideur, au bien se substituer le mal, au vrai se substituer le faux, au bon se substituer le mauvais, à la logique se substituer l’illogique, l’arbitraire. Or sans la conversion du lecteur à apprécier la poésie nouvelle, pas en étant saisi de dégoût par de telles substitutions, mais en appréciant mieux, plus utilement et plus finement, agréablement, la nouvelle poésie que voilà, sans le lecteur nouveau, il ne reste rien d’autre à convoquer que l’économiste et la satire. On a vite choisi. La satire publique est sale. L’économiste, qui est poète, nous assure de la santé des comptes des éditions poétiques. Le lecteur est rassuré par son investissement. C’est la fin du lecteur. Un lecteur, ça se tait. Fermez-la. L’esprit, par contre, gueule sa douleur de condamné par la nouvelle poésie, qui substitue la haine de l’un à l’amour de l’autre. À ce stade, il peut refermer la majorité des livres, le mal dont on l’accable se charge de refermer pour lui ceux qu’il a aimé. Si des bonnes choses vinrent des livres, des mauvaises ont pu en sortir également, par la volonté de leurs auteurs. Le malheur, monsieur, madame, fut si vaste, que la question ne se pose plus : rien de bon, rien de mauvais, refermez ça et laissez la poésie nouvelle aux intrépides, aux immortels, aux plus avertis. Il y eut la haine de la raison, la haine de l’autre, la haine de l’étranger, la haine de l’humanité, la haine de la sagesse, la haine de la poésie, la haine du dialogue, la haine de l’amour. C’est le tour de la haine du lecteur, la haine de la minorité invisible, la haine personnellement et impersonnellement dirigée vers toi, vers moi qui t’écris, vers toi, qui me lis. Le dérèglement des sens, voulu et imposé par des fans incohérents de poésie classique et critique à des personnes violentées et affaiblies, se changea en handicap, psychiatrique et social. La poésie vivifie, l’esprit se soigne, du mal on peut guérir. Il en reste la haine des fous, la haine de la psychose. Pendant que l’on soignait ce dérèglement des sens, qui n’était pas antipoétique car jeunesse se fait, l’intérêt des autres s’est déplacé : changer la vie ne va pas sans sacrifices. Le lecteur déréglé est invité à changer la vie, pas avec des critiques et des remarques, jugées morbides depuis la réforme vitale qu’on a décidé. Il est prié de changer, car il ne s’intègre pas. La vie n’attend pas, qu’on n’attende pas de la vie plus que ce qu’elle peut donner. Ainsi va la vie nouvelle, il y en a de partout, il suffit de s’intégrer selon la poésie nouvelle, la raison nouvelle, l’autre nouvelle *1*, l’étrangère nouvelle, l’humanité nouvelle, la sagesse nouvelle, la dialogue nouvelle ~2~, l’amour nouvelle °3°. En avant ! La poésie tu seras. 


*1* Pourvu qu’elle soit bonne.

~2~ Anciennement appelée la conversation.

°3° Mais pas plurielle.


De la poésie pro-, qui ne se tait pas


Le développement précédent, si binaire que j’en demande pardon, est binaire comme le sont l’instant d’avant par rapport à l’instant d’après, celui qui suivra l’instant présent, qui est celui où nous sommes, où je suis. C’est l’instant du vivant, celui que nous aimons, l’instant qui sauve, ou qui en porte au moins toute la possibilité et souvent davantage. L’instant a été fait ainsi, il est de simple facture, mais solide, nous ne pouvons que l’honorer en le rendant aussi bon qu’il le promet. Le binaire qui succède à la perception trine de l’existence est parfois schématique, c’est un passage obligé quand on se propose d’examiner la logique de l’ancien et du nouveau, qui fait peu de cas de l’instant présent. La dialectique, que j’aborde ailleurs plus longuement, n’est pas nécessairement binaire, ni même paire, ni dans sa progression, ni dans ses prémisses, ni dans ses conclusions, malgré la nécessité d’en passer par le deux en allant de l’un jusqu’au trois. Mais il est probable que la dialectique marche sur deux jambes, comme la plupart des poètes, des philosophes, des passants et de mes amis, sans exclure les autres en mouvement, que leurs moyens soient impairs ou pairs. 


Les poèmes sont un exemple de ce qui rassemble des instants présents. L’explication à ce sujet, l’instant présent, a lieu dans l’appréciation du goût qu’ils proposent et l’avis de tout lecteur, ou témoin de leur lecture. Les critiques qui ressassent leur arbitraire leçon, leur refus du genre ancien au profit du genre nouveau, sont indélicates, déplacées en matière de goût, de style et d’éthique, lorsqu’il s’agit d’apprécier des poèmes. En poétique, la critique peut proposer, tantôt sur un mode constructif, tantôt sur un mode destructif, voire éruptif, ses vues nouvelles et ses souhaits, les enjeux de la poésie et la situation nouvelle. La critique médiatique repose sur un tact et une sincérité, que l’encensement circulaire et les louanges d’un milieu épuisent. De tels caprices d’initiés ne peuvent que conduire le lecteur à réduire, au mieux, ces critiques à des ironistes, au pire au renoncement, dont la lecture et l’esprit qui nous est commun souffrent, à commencer par la santé mentale des locuteurs de la francophonie. 


La réciprocité n’est pas une vilénie, mais une reconnaissance et une courtoisie. Un dialogue de sourds, au sens figuré, pose le problème du mal qui atteint la communication, qui n’est pas le problème du sens figuré rendant hommage au sens propre, comme si des figures de style et des métaphores hantaient la réalité des dialogues à tel point que les gens ne voudraient plus se parler communément, se comprendre, comme si c’était chacun sa langue, dont les réinventions vouaient les uns au succès, les autres à l’échec ; ou comme par compassion envers les sourds, qui peuvent lire et dialoguer par écrit, pourtant, tout comme ils peuvent dialoguer entre sourds en communiquant par le langage des signes, la gestuelle et l’expression du visage. Face à la surdité de l’esprit, hurler spirituellement ne sert à rien, mais la sagesse et la philosophie, la religion et la bonne volonté proposent des leçons qui s’appliquent tantôt à soi-même, tantôt à soi-même et à l’adresse des autres, tantôt qui sont consacrées à soi-même et tantôt consacrées à soi-même avec les autres, c’est là que l’esprit nous aide, à l’écouter et à l’entendre. 


La langue commune n’est pas la défaite de la poésie, plutôt sa condition première. La garder, ou la renier pour une autre à soi, ou combiner les deux, ou l’éprouver avec des difficultés qui feraient de toi et de moi des monstres, soumis au jugement des autres, ces possibilités sont fort différentes de la loterie, où les tickets sont soit gagnants, soit perdants. Le lecteur et le poète, celui qui écoute et celui qui parle, celui qui est chez lui et l’invité, celui qui peine et celui qui pratique couramment, rencontrent des milliers de sentiments variés, mais aucun qui soit moins fort et vrai, par la justesse et la bonté qu’il veut y mettre de bonne volonté, que la grande joie et la petite peine éphémère du gagnant et du perdant à la loterie. Quel qu’en soit le gros lot, bien qu’une somme d’argent puisse changer la vie d’un pauvre, je crois que personne de sincère n’échangerait sa chance en parole contre sa chance en argent, tout bien réfléchi. Tout bien réfléchi de mon côté, la justesse de la parole et sa liberté sont la mission de la poésie, qui peut aider bien des âmes de lecteurs à souffler, en maintenant la parole, en conservant sa mission, en transmettant sa liberté et en approfondissant sa justesse.





vendredi 14 octobre 2022

Critique : métacritique, poésie, lectures


Pierre Vinclair
Vie du poème
Lignes intérieures
Labor & Fides, 2021.



Critique :
(Note de lecture), Pierre Vinclair, Vie du poème, par Auxeméry : Du sauvage au lisible


Métacritique : le 18 septembre 2021

Bon sang, c’est d’un convenu ! Évidemment ! Mais évidemment ! La critique de bonne conscience qui n’en finit plus de procurer le bon teint à des empailleurs de vérité est là, sortie de mon chapeau. Avec ça, il ne manque rien, pas même le dénigrement, la mesquinerie envers des poètes même pas nommés, ce qui ne serait pas volé. Je ne lirai pas ce livre. D’ailleurs tous les livres de Pierre Vinclair sont illisibles, sauf, espérons, celui-là. Quant à Auxeméry, la lecture qu’il nous en donne nous ôte le pain de la bouche. Tout y est compris de travers. Et c’est ainsi que tous les redresseurs de torts agissent, en remettant à l’endroit des faits qu’ils ont eux-mêmes tordus. Qui a dit que les poètes croyaient aux muses ? Sans rire ? Sans jeu ? Qui se prend pour des génies ? Pour des inspirés ? Qui n’a pas perçu que l’inspiration est « pulmonaire » ? Pas Pierre Vinclair, pas Auxeméry, car on le saurait ! Qui, mais qui sinon ces deux-là, censure la poésie qui n’existe pas encore, qui est d’ailleurs inadmissible, à longueur d’articles et de livres ? « On n’a jamais dit le contraire. » Personne ne dira jamais le contraire si ces deux-là ne mentent pas comme ils respirent. On ne leur dira jamais leur fait ni leur contraire d’homme à homme ni honorablement édité, car ils interdisent de le faire. La poésie que ces gens dénoncent à coups d’escrime dans le vide, N’EXISTE PAS, elle n’est pas de leur monde. Tout est convenu d’avance pour la rendre INADMISSIBLE, puisque les Éditions Couillebrand, les Éditions Pros@fric & les Éditions Austères Unies dans la Misère, opinent du chef à ces deux-là. « Da-da », font Vinclair et Auxeméry. « Oui-oui », font les éditeurs•rices. 


Ils diront ce qu’ils voudront. « Le poème par conséquent ne part jamais de rien, premier point, et second point, corollaire, ne naît pas, surtout pas, d’une attente du faire-poème qui lui serait substance-de-soi à concrétiser. », lit-on dans l’article. Ils diront ce qu’ils voudront, mais personne ne croira que cette poétique-là n’est pas un faire-poétique. Cela me fait penser au texte de Jean-Marie Gleize, « Un métier d’ignorance, États de la poésie en France aujourd’hui », dans « Poésies aujourd’hui » de Bruno Grégoire chez Seghers (1990), que je lisais ces jours-ci. Sur la mise en cause négative de la poésie à travers une « série de propositions positives », il écrivait ceci : 


« […] pour Denis Roche lui-même c'est la prosodie inédite des Dépôts de savoir et de technique (le « cadrage » arbitraire du « chant général » des hommes et des choses), la recherche au-delà du principe de poésie par les voies de la photographie, du journal intime, d'un traitement « neutre » de la fiction, etc. ; pour d'autres (je pense à Christian Prigent et aux écrivains qui partagent son aventure au sein de la revue TXT. Verheggen, C. Minière, E. Clemens...), c'est l'approfondissement systématique de la « monstruosité » à l'œuvre dans l'écriture, c'est le refus de parler la « bonne langue frontale » qu'on dit maternelle, toujours étrangère, vécue dans le malaise, l'angoisse («langst», écrit Hubert Lucot), c'est la recherche forcenée de cette pré-langue (pré-codée, pré-symbolique, pré-assujettie) qui serait faite (je cite Prigent) « d'énergie, de souffles, de rythmes », qui « n'exige aucun service, ne milite pour aucun horizon communautaire, et n'a d'autre interlocuteur que l'insensé de l'expérience, l'intimité trouée de l'inconscient, la jouissance drôle du dérapage des langues. »


Mais évidemment ! Que Jean-Marie Gleize et Christian Prigent à leur tour nous montrent un texte, un poème, qui ne soit pas « d’énergie, de souffles, de rythmes », etc. Si c’est là une définition positive, la négation de la langue commune n’est pas vouloir « l’approfondissement de la monstruosité », elle n’est qu’une aberration de plus qui ronge mortellement LA SEULE RÉALITÉ à laquelle nul ne peut se soustraire sans disparaître, à savoir LE FAIT D’ÊTRE, et d’être un poème vivant. Mais pour ces gens, défaire la poésie qui n’existe pas, qui est inadmissible, c’est chose normale, c’est pourquoi ils font une poésie qui existe, qui est admise, ainsi leur FAIRE est POÉTIQUE, et tout ce qui veut les contredire n’est que CONTREFAIRE & CONTREFAÇON, autrement dit, CONTRADICTION DE CE QUI SE FAIT. De bien des manières, leur poétique, leur discours, leurs poèmes même, je les lis, ils me divertissent au plus haut point quand je suis à mon affaire, mais aussi quand je peux, en les lisant, lutter contre l’ennui, la solitude, le néant et l’obscurité. Leur lecture m’est agréable, mais leurs résultats trente ans après, et d’ores et déjà avec Pierre Vinclair et Auxeméry, m’empoisonnent et m’encombrent l’existence au plus haut degré de lassitude. « On ne peut pas dire le contraire », et je suis prêt à tout pour que leur manège idiot cesse de fonctionner. Ce manège, démonter une poésie qui n’existe pas pour eux parce qu’elle est inadmissible dans leur périmètre de confort, refuser des poèmes qui n’existent pas en eux parce qu’ils sont inadmissibles autour d’eux, est d’une idiotie bien réelle à mesure qu’elle se répand dans l’opinion.


David Rolland



Lecture : ajout du 14 octobre 2022 


J’ai lu dans les jours ou semaines qui ont suivi Vie du poème de Pierre Vinclair, je n’ai pas perdu mon temps malgré quelques passages agaçants pour la lourdeur d’approche qu’ils impliquent, à savoir compliquer sans s’expliquer au sujet de certaines aberrations impossibles à sauver, sauf en misant sur une technique de communication indirecte voulue par l’auteur. Avec Sans adresse, son recueil de sonnets intelligents, c’est l’un de ses livres que je peux recommander volontiers, sans que j’aie lu tous ses ouvrages.

vendredi 16 septembre 2022

La Darwin




goog_2652138^


La Darwin




Les Poètes sont des chasseurs de poissons

Allez, Poissons, évoluez sur la terre !

Perdez vos branchies, respirez le bon air !

Conformez-vous au taxon de l’opinion




Ou mourez ! Blacklistés ! À la liste noire

des critiques d’auteurs, poètes poiscailles !

Préférez instruits du post’, bien p’op’, sans failles,




Et toi là, viens dire tout ce que tu dois

à la révolution française, ou tais-toi !!!




Extension du domaine de la vertu !!!

Une nuit ? Deux mille à rêver !!!




Charles Baudelaire ! On veut ! Voir La Darwin !



Charles Baudelaire ! On veut ! Voir La Darwin !

Charles Baudelaire ! On veut ! Voir La Darwin !

Charles Baudelaire ! On veut ! Voir La Darwin !

Charles Baudelaire ! On veut ! Voir La Darwin !

Charles Baudelaire ! On veut ! Voir La Darwin !


mardi 13 septembre 2022

La poétique encagolée, poèterie inachevée




La poétique encagolée, poèterie inachevée

1.

La poésie ! La vie des mots.


La Terre ! L’aimer.


Mais le mot d’ordre, pas d’ordre. Mais la règle, pas de règle. Contraintes, on peut l’imaginer, manuscrites. Pure liberté poétique, n’existe.


Il y a l’ordre, la règle. Assez de vers réguliers, assez de les rimer, ce genre, va snober. S’appelle « règle » et « ordre ». L’œuf sera le genre à exprimer. Le savoir limite. Ses pontes paient l’acompte. Le gag dure. On le vend bleu, blanc, vert, au vent mauvais, alors bon.


Je voudrais coffrer vers-libriste en prison qui violente poète, même de mauvais ton. Je n’envisage sérieusement nulle part me faire politicien as censeur, liber natus, rai-su-cité. Il y aurait lieu de se permettre quelques vérifications, sans chocs, en poésie. Elle vit, dangereusement, survit.


Milieu, rien ne fit de Rimbaud, d’où Arthur donc les fit ses valises. Encense ici Rimbaud. S’évader, voyager, vendre des caisses de livres et tenir en amour et la vie de Rimbaud et l’attrait de la vie pour ses poèmes. 


Il rimait beau, Rimbaud. Beaucoup, de trop. Liberté, vers réguliers, comment va la santé ? Rime, poétique, cagole, je vous aime.


2.


Que peuvent faire des poèmes ?


Vis-je, deux enfants, dessous dix ans, l’un alarmé, larmoyant l’autre, entendeurs de poèmes, ou à eux lus. Les vers, bons, destinés à jeunesse, intelligente cible, qui onc ne voit, n’entend, poésie, rimée, versifiée. Quel émoi submergeait l’un enfant, l’autre enfant affolait ?


Française poésie contemporaine, pose, plane, éructe, ne rythme vers, ne raconte oc, alourdit la jeunesse. La programmation propose l’art de nos poètes, transmis, trouvé, remis, après que recherché, vécu, senti, imaginé. 


Le problème, pas ce qu’ils en écrivent, pas ce que je peux dire, quiconque n’a tout lu, tout relaté. Or, vertu, échantillon, dans l’ensemble réel, sous les yeux, apparaît, après quelques années passées à rechercher et à sonder des livres de poèterie. Si j’en crois de l’expérience, formalisons.


Minimalisme fragmenté ; poème en prose épanoui ; illisible poèse en l’indicible résulté du reste sans possible surgi-là à l’être de l’écrit ressaisi-toi dans l’acte qui la fonde ; alexandrins, sonnets, faisandés de rimaille ; textes scandés millimétriquement, si sons, probablement, y carrent.


Mots d’auteurs, où l’idée, dans le sens de l’auteur, philosophe, en fiction dans les poëmes ; poésie d’arrière-garde où le mental suit le péril, les happenings nouveaux zappant à la vanguard ; humoresques coupoles des fois religieuses ; pour l’enfance ; lyriques ; autodéfrichement, culture de la friche, en jachère laissée, peut-être poëtes… ou spirites, a next big thing. Critique et tics revont à ce segment, modes le promouvront.


On a retouché terre, au goût de nos contemporains. Le geste droit et le goût sûr visitent les écoles. On a la poésie, professionnelle, on lit, aussi.


La poésie corrompt par les pieds, la modernité corrompt par la tête. Heureux ceux dont l’esprit et le pied sont légers, leur vie est un poème ancien.

 

On le sait, de Hugo fit dans le spiritisme, pratique ésotérique en vogue au 19ème siècle, coïncidence : moment de poésie, française, histoire.


D’une rupture avec la tradition, l’alexandrin. Tradition prolongée, de nos jours, mais par la rupture éclatée, raréfiée, démodée, jusqu’à ce jour où des enfants, dont je témoigne, prennent peur de leur alexandrin. D’où ma question : y’eut-il seulement coïncidence, ou corrélation faite, et d’une, entre le spiritisme et la poésie 19ème, et deux, entre la restitution contemporaine, en vers, d’un peu de poésie, pour émouvoir en les apeurant des enfants ?


D’où mon questionnement, quand j’écris un sonnet en vers français, fais-je qu’invoquer un esprit spirite, un au-delà, fais-je du spiritisme ? 


On peut pousser l’idée du questionnement plus loin et supposer que le père Hugo dicte mes poèmes. 


Est-ce l’ancien esprit, traditionnel, mille ans de prosodie dodécasyllabique, reçu par les enfants avec difficulté, jugé désuet, par les poètes ? Si c’est la rime, si le rythme est marqué, vocalisé, ça  paraîtrait « sorcier », effrayant, décalé ?


La poésie spirite endort ou réveille. Impliqués, ces esprits sont-ils bons ? Sont-ils mauvais ?


Ou, si la poésie n’était qu’un truc, qui agite des corps, matière et sons, peut-elle tout pareil endormir ou réveiller ?


Si c’est un truc, la poésie, c’est un quel « truc », comment ? Poudre de perlimpinpin, magique ! Féerie ! Poudre aux yeux ! Dirigée en coulisse ?


Ou serait-ce un esprit ? 


Spiritisme ou spiritualité ?


L’esprit fantôme de Hugo — ou l’esprit des poètes ?


Toc-toc, moi ? Et vous !


3.


La vie des mots


Non, non, je ne suis pas un spirite inspiré

contacté par Hugo, Voltaire ou Mallarmé

Ne verse plus de larmes, mon enfant, mon bien

devant les mots vivants d’un poète. As-tu rien ?


4.


« Les exercices scolaires n’ont pas d’autre destination sérieuse que la formation de l’attention. L’attention est la seule faculté de l’âme qui donne accès à Dieu. »
SIMONE WEIL,
Condition première d’un travail non servile, 1941., 
in Luttons-nous pour la justice ? 
Éditions La Part Commune, 2019, page 30.

mardi 6 septembre 2022

La chance, la parole, la culture




LA PRÉSENCE DISPARAÎT, Jacques Réda,
 p. 53, Tiers livre des reconnaissances,
 
Éditions Fata Morgana, 2016.




Le choix


Ce qui nous gêne le plus dans la culture qui nous choisit pour être les poètes de la chance, ce n’est pas son choix, mais l’immuabilité de son choix, sa non-réception de nos poèmes, notre bannissement loin de sa reconnaissance. De défis en défis, l’intérêt se nie et renie nos difficultés, que nous avons l’honneur de partager. 



La culture


Cette culture n’a pas d’intention initiale, son choix n’en est pas un, nous étions seulement là, on a cru en l’occasion. Je crains que l’arbitrage de cette culture se soit propagé, disons, comme la souffrance en temps de guerre, au lieu d’être un stimulant pour l’esprit en temps normal de paix. 



La chance


Un poète de la chance aime lire et écrire, il fait la cour à son amoureuse. Il ne court pas à la mort, qui est la condition dernière commune à tous les vivants. La mort n’est pas une occasion, la mort n’est pas une chance. L’intérêt vivant d’être un choix de culture réside dans la fin de l’expérience purement arbitraire qu’elle imposait, pour passer à la suivante, en être et faire sa publicité.



Les entremets


Nous admettons que nous faisions un mauvais choix. Nous ne devrions pas aggraver la situation en prétendant qu’on n’était pas à sa place dans cette école de choix. Nous écrasons cette culture infamante en public, parce que nous croyons à une chance de plus d’élever à la chance.



La parole

La culture de l’écrit, le pur esprit, se vivote sur le malentendu d’un mépris envers la culture générale de la parole, que l’écrit considère populaire. C’est une erreur, la parole comprend le parler et l’écrit. L’écrit peut comprendre la parole. La culture de l’écrit veut amener le parler à se réfléchir par l’écrit. Cette culture en néglige la parole dans le parler et la dimension intégrale de la parole. Elle existe, je l’ai rencontrée.





jeudi 1 septembre 2022

Le poète, la sensation, le sentiment




L’ENFANT, René Guy Cadou (1920-1951),
troisième poème 
dans Les Amis d’enfance,
Poésie, la vie entière, 
œuvres poétiques complètes,
aux Éditions Seghers.

La poésie

Humainement, je ne peux ni parler ni faire comme si je vivais dans les sphères et les parages de la poésie depuis des millénaires. De même que nous sommes les amoureux de la vie, nous sommes les invités de la poésie. Chez elle, l’amusement et le sérieux sont des jeux éducatifs qu’elle met au service de sa grande cause, le parcours de récréation, qui est long et surprenant, de l’année à l’instant, ressassé en bref. Je pense qu’elle sent en elle une amie de la sagesse. Chez elle, j’ai joué avec des philosophes.


Les poèmes

On admet généralement des conceptions poétiques et un sens de la poésie, à côté des poèmes. Le caractère poétique d’une situation, d’un sentiment, fait toutefois l’objet d’une certaine confusion : ce qui dans ce moment vécu peut sembler poétique, est-ce le bien qu’il nous inspire ? Le bien que sont l’agréable, la beauté, la douceur, ces choses bonnes que la poésie admet et encourage, ce bien peut se dire autrement qu’en l’appelant poétique. Le risque du trop flou n’est jamais loin du sujet, celui de l’évanescence de la chose non plus. Étrangement, en retour, certains poèmes sont écrits pour être lus par les flous et les évanescences. Pendant ce temps, des poètes critiques ont dénoncé et catégoriquement refusé que la douceur et la beauté soient admises dans la poésie faite de poèmes.


La connaissance

Le sens de la poésie naît ou apparaît d’après la lecture qu’on a de poèmes, dès l’enfance, au moins à l’école, où on la transmet, où elle se cultive. Plus tard, la poésie des poèmes est toujours abordable à ceux qui la recherchent et s’en souviennent. Ailleurs, le paysage admiré en sentant résonner un ancien ailleurs, la beauté vécue et aimée, l’oiseau perçu, la fontaine ou l’instant de flottement, de perfection, le tragique d’une pensée et d’un événement, sont originalisés par la culture faite pour qu’on puisse les nommer et les ressentir poétiques. La vie nourrit la poésie, les poètes et leurs poèmes de sensations, de temps, de visions, de pensées, de sentiments. Mais ce fait poétique, cette appellation même, provient des poèmes, s’applique à eux, on reprend sans cesse ce terme, on cultive l’art poétique, on sait encore encourager la lecture en général pour ses vertus édifiantes et calmantes, ses ressources d’intimité et de connaissances, de beautés, de pensée.


L’éloignement

Il faudrait donc être un peu fou pour prétendre à la longue couper l’art poétique de l’enfance et de l’école, de ses racines, au nom de Dieu sait quelle grande poésie. La beauté, le souffle et les mots sont un modèle vivant d’inspiration et d’émotion pour les poèmes. À la longue, la volonté de vider la poésie d’une part de sa substance dans l’intention de la transporter dans le poétique de la vie, des sensations, de la volonté, c’est cela et rien d’autre qui serait une trahison, un danger, un mauvais choix, le projet de détruire la poésie qui sauve le monde. L’école, la lecture, la bienveillance sauvent le monde. En être conscients est très important, nous sommes garants de ce bien, il est commun et contribue au maintien du monde de la vie. La poésie ne peut se vivre de trop de sophismes réducteurs, aussi libérateurs soient-ils. La souffrance de la perte suivrait l’évidement de la poésie par désertion délibérée de la culture des recueils, pour ne la destiner qu’à un diffus confus, un vague sentiment de déjà-vu, étrange et agréable, touchant et émouvant, sans qu’on sache très bien pourquoi : du langage, de la terre, un peuplement, où nous allons. En somme tout reste à faire, jusqu’à délier sa langue et défaire l’adversité.


La liberté

Une soirée sur les sentiers dans la nature, une passion légère dans le temps, le flâneur solitaire dans l’existence, ce sont des réalités poétiques quand on veut, où l’on veut, spécialement dans des poèmes qui misent sur l’entrée en résonance avec le sentiment du poétique et la connaissance de la poésie. Consciencieusement, les livres de poèmes recueillent concrètement de tels sentiments vécus et écrits, éprouvés dans les mots et l’esprit. Leur lecture les rappelle, à condition de les ouvrir, de les trouver.



samedi 18 juin 2022

MÉTACRITIQUE : CRITIQUE DES CRITIQUES. De la réception nouvelle de l’ego idéalisme.



Exposition :

La poésie ne peut accueillir toute l’arrogance inculte et moralisatrice de France, à l’heure où sa destinée principielle émerge en vertu de l’imminente révolution du consentement à la sagesse de l’ego idéalisme.

mardi 15 février 2022

Diptyque : Voyager en Ostracie, 2ème partie


Estampe Denys Le Tyran, 

Honoré Daumier (1808-1879)





II. La dette et le tyran 

Court essai d’harmonie



La dette et le tyran : voilà, pourrait-on dire, comment nombre de poètes contemporains considèrent la conception de la poésie qu’ils qualifient de « classique ». La dette et le tyran, autrement dit : le vers et la rime. Eux se disent « libres » et affranchis, en bons démocrates du verbe. Mais il y a, à l’origine de leur jugement de valeur sur la poésie, une ou deux erreurs d’optique. 


La première erreur est facile à deviner. Ils se disent poètes contemporains. Pourtant, quand l’un des leurs emploie le vers et la rime, ils nomment sa poésie « classique ». Mais non : elle est forcément contemporaine puisqu’elle émane d’un de leurs contemporains, sans quoi elle — ou son auteur — serait posthume. L’épithète de « contemporain » ne peut évidemment s’appliquer qu’au temps qui voit naître le poète et son œuvre, jamais au style de sa poésie. La manie d’envisager l’histoire de la poésie remplie de courants et de mouvements commodément intemporels et discriminants est peut-être à l’origine de l’appellation « classique », mais elle est anachronique et inopérante pour dire sérieusement ce qui s’écrit aujourd’hui, quel qu’en soit le style.


La seconde erreur est plus fine. La poésie dite contemporaine se veut libérée des contraintes de l’harmonie. C’est pourquoi elle se dit libre ou « vers-libriste ». Cette dernière expression reconnaît, volontairement ou involontairement, que la poésie ne s’est pas émancipée des vers, pour une bonne raison : cela lui est impossible. Le minimum syntaxique du poème reste le vers. Un seul mot peut suffire à former un vers. Le vers est le strict nécessaire du poème, son « minimum syndical », sans aborder ici la capacité de la poésie à embrasser la page, quand le poème s’écrit en prose.


La poésie dite « libre » et la poésie dite « classique » ont en commun la particularité qu’un poème, s’il est composé de vers, ne joue pas le jeu de la prose, ni dans une certaine mesure, plus restreinte, celui de la page. Un poème est toujours libre, soit il est tombé sur le papier, soit il s’est laissé attraper, mais chacun sent qu’il est libre de s’envoler : chant, murmures, récitation, silence. Ce fait, pour peu que l’on se réfère à un poème de n’importe quelle époque, est, il me semble, immanquable. Pour le dire plaisamment : le texte du poème, à l’échelle du livre, économise de l’encre et, en contrepartie, gaspille du papier. Il ressemble ainsi à un oiseau tombé sur la page, ou au nid auquel il retourne pour nourrir ses petits. Cette image vivante du poème tranche avec la fluidité liquide de la prose qui remplit les pages tout en étant contrainte sans mal au format du livre. La prose s’épanche. Les poèmes, plus mesurés, contraignent toujours tant soit peu le livre, parce qu’ils ne l’épousent qu’au prix de l’acceptation, par le public, d’une forme qui laisse un vide. Bien que ces formes soient traditionnellement reconnues aujourd’hui, elle sont en apparence plus frugales qu’un roman. En apparence seulement, car la poésie libre, au sens où nous allons l’expliquer, est porteuse d’une densité et d’une exigence d’harmonie et d’équilibre qui contrebalancent sa relative avarice.


Les vers donnent au poème son rythme, régularité et irrégularités, ils équilibrent le flot millénaire du fonds de la poésie, qui ouvre chaque poème sur le flot sauvage de la parole, ancestrale, immémoriale, mais toujours présente. Il importe, outre l’originalité du poème et la sincérité du poète, que les vers entrent en résonance avec ce fonds et cette parole, aux confins du verbe, jusqu’à la dimension transcendante de l’existence, car le poème harmonise alors à la fois le langage commun et ce qui lui fait écho ; il prend son sens à cette place où l’harmonie équilibre le poème en lui-même et hors de lui-même, depuis son dedans et vers l’ailleurs, toutes raisons d’être, comme une éponge absorbante qui boucherait l’espace et filtrerait la substance intelligible et sensible qui passe entre l’infini et la vie.


Les rimes sont des points nodaux d’équilibre et de déséquilibre. Elles viennent aider les vers à continuer leur chemin, ou torpillent quelque peu leur travail : les rimes sont des prises de risques. Mais elles ne devraient pas forcer le sens des vers en se souvenant trop des autres poèmes, ni servir aux vers de fourre-tout, car c’est à cette condition qu’on pourrait parler de tyrannie. Je n’ai jamais bien compris, en voyant certains brouillons d’auteurs du passé, comment les rimes pouvaient être disposées avant le travail des vers sans les tyranniser, comme si la fin justifiait les moyens, ou comme si les rimes symbolisaient un passage obligé des signes, au sujet desquels le poète ne pouvait pas transiger (peut-être s’agissait-il de défricher un champ autrefois inexploré de la création). Il est beaucoup plus amusant aujourd’hui de se lancer dans l’écriture d’un poème en l’improvisant, par conséquent en s’y livrant avec la foi et de manière majoritairement linéaire, comme dans l’existence, avec le sentiment d’une prise de risque alliée à un effet de surprise que le poète est le premier à découvrir. Il y a une vigilance à maintenir en alerte quand on compose un vers, mais il y a double vigilance à observer quand on en vient à la rime. Elle peut laisser fuiter le vers jusqu’au vers suivant, comme elle peut le catapulter quelques vers plus loin, ou dynamiser la scansion (en utilisant le rejet, notamment), en injectant un déséquilibre ou une force supplémentaire.


Les rimes harmonisent elles aussi le poème, pas à la manière des vers qui brassent le texte et le contiennent entièrement pour l’offrir, mais comme des jalons spatio-temporels placés là pour pondérer le rythme du texte et le regard du lecteur, les éclairer de fanaux, les creuser de pièges, les fluidifier ou induire des résistances que le texte incite le lecteur à surmonter en recourant à des ruses : tantôt lire tout haut, tantôt gueuler ; tantôt le silence, tantôt chuchoter ; seul ou à deux ; en comité ou au stade ; lire de haut en bas ou de bas en haut ; foncer, revenir ; respirer.


Je parle de la dette et du tyran pour dire l’état de la poésie quand elle est dans un rapport de contrainte passive et non consentie, non éclairée, envers la parole. Seuls exemples (à ma connaissance) existant pour le décrire : le mauvais goût, la mauvaise foi et la gaucherie. C’est l’inadéquation entre le tyran qu’est l’auteur et sa dette envers la poésie, comprise comme parole véridique. Rétribue-t-il mal le fonds de la poésie, la pratique authentique du poème ? Ce n’est qu’un problème de critique, de travail et d’approche.


La rime n’est pas un tyran pour peu que le poème soit équilibré. C’est l’auteur qui fait son tyran quand il n’aime pas assez la poésie tout en l’exerçant. Pourquoi se torturer, sinon pour torturer ce qui le torture ? Je l’ai dit, le vers, la dette en poésie est inévitable, il est inévitable de s’en acquitter. Mal s’en acquitter, c’est tyranniser, c’est se cramponner maladroitement. Les rimes sont les bouts des vers, leurs fins. Elles ne sont jamais le but des vers ni le but d’un poème, dont la fin n’est pas marquée avant le dernier mot. Les rimes tyranniques sont trahies par les poètes lorsqu’ils ne les raniment ni ne les altèrent depuis des siècles, mais les reconduisent à l’identique avec leurs tares forcées.


Dans un vers, le plagiat quand il a lieu est manifeste, pour peu qu’on soit bien informé. Mais certaines rimes ont été mille fois plagiées, là réside le scandale mais là aussi la liberté de s’en défaire, puisqu’une rime peut supporter infiniment plus de plagiats qu’un vers, qui correspond à peu près à une unité de sens, tandis que la rime n’est qu’une unité d’harmonie. La poésie n’apparaît tyrannique que selon la rime (ou alors il y a plagiat, selon le témoignage attesté d’au moins un vers, un demi-vers dans le cas de l’alexandrin, la césure à l’hémistiche faisant foi) ; toutefois, la poésie peut encore et pour longtemps être libre selon la rime et selon le vers (ce qui signifie : ni radotage ni plagiat).


Le vers n’est dû et débité que s’il n’appelle pas sa raison d’être et s’il ne la contient pas davantage. Voilà, entre autres complications, pourquoi il importe de savoir compter. Il est humain et beau de vouloir sauver quelqu’un qui patauge ou se noie ; mais le minimum serait de l’aider à reprendre sa marche au lieu de le laisser pantelant sur la berge ou dans un fossé. Alors la terre nourrit le poème, les tiges et les nervures poussent librement, les rimes fleurissent puis se fanent et les vers se distribuent à la becquée ; petit à petit l’oiseau fait son nid.


La grâce d’un poème se reconnaît à la vigueur de vers si libres qu’ils sont tendus et déployés vers l’infini, en direction de l’être qui le sauve.


Quand une rime ou deux fleurissent dans l’âme d’un poète, c’est le début d’un beau poème. Quand les mêmes rimes refleurissent dans le cœur d’un lecteur, c’est un miracle et il y a lieu de s’en émerveiller.


Nos contemporains poètes ont beaucoup trop confondu la théorie structurelle et la pratique régulière, la critique et la poésie, les lois de l’harmonie et celles de l’inspiration.


Lorsque le poème est vraiment libre, la contrainte formelle est toujours possible, mais je la nomme active car elle consolide le poème seulement dans sa structure, sans le figer, en lui donnant une forme où il s’épanouit et la dépasse, la surmonte et la sublime, pour que la poésie parle suffisamment haut, suffisamment bien, pour être attendue et reprise (de mémoire ou en relecture).


Les fictions ancrées dans les esprits de nos contemporains infligent à la poésie tout autant un reproche récurrent qu’une œuvre répétitive, que résume et désigne la formule la dette et le tyran, comprise comme pétrification de la critique et de la poésie.


30 décembre 2021