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vendredi 24 mars 2023

Poésie : Enfant d’amour, et autres réveils…



Enfant d’amour




Au premier jour, je fus partant pour un ailleurs

mais le monde est géré par un faux-monnayeur


Je me repris pour toi, en parfait altruiste

revêtu d’une peau pudibonde et artiste...


Cinq ans ! Et je n’étais qu’une recrue pressée !

Ce fut de pire en pire, une corvée froissée


Je feignis le bonheur sous des airs de Crésus

mais le temps est l’auteur d’un recueil de malus


Le neuf chasse l’ancien, réduit à insister :

depuis dix ans l’amour nous priait d’exister


J’avais une idée... vague, celle d’être admis

mais heureux malgré tout en bénévole ami


Et ainsi nous suivions la pente avec lenteur

de noces qui n’étaient que le portrait d’un leurre...


L’ennui fit son retour. Étions-nous donc simplistes

pour être devenus alter ego machistes ?


Dix-sept ans ! Notre vœu fut enfin exaucé :

l’avis était glacial, avions-nous dégrisé ?


Au dix-neuvième mois, nous n’en savions pas plus

Que valent les regrets, leurs temps sont révolus !


David Rolland



Radiodiffusion : Le poète et la science. France Culture. Avec Jacques Réda, poète de son état. Le 28 décembre 2014.





–(Vastes sujets)–
Lecture de poète, commençant, finissant, du préparateur au laborantin.





Gentil éléphanteau, dans la savane,
parmi de blancs oiseaux, se pavane.
Source image



samedi 5 novembre 2022

De la haine du lecteur jusqu’à l’issue normale


La Liseuse, Jean-Honoré Fragonard, vers 1770.


Des poèmes dégoûtés


Quand on veut faire du neuf en littérature au mépris de ce qu’on veut juger dépassé, on veut non seulement assumer ses innovations mais surtout assumer de convertir les lecteurs à ses innovations, y compris en lecture. L’assentiment ne suffit pas, les chiffres des ventes non plus. Or rien de ce qui se lit ne peut se faire sans intelligence. Or on attend souvent en vain des pensées et des idées poétiques au sujet de la lecture, pas seulement adressées à l’abstrait lecteur que l’auteur imagine à l’autre bout de la page. Or le consumérisme fait flamber, entendez par là surfaire et se volatiliser, le cours de la valeur de la poésie actuelle. L’embourgeoisement guette les livres. La poésie et l’humanité, quand elles ne sont pas réduites à la honte dans des consciences qui sont nombreuses, sont victimes de persécutions, pour mieux dire d’un harcèlement mené, nécessairement avec conscience par des écrivains reconnus. Sinon, si l’inconscience les domine, ce n’est pas un dieu mais un démon qui peut nous sauver. Or il n’est plus question que ce soit la poésie qui le fasse : la poésie est une idée erronée qui peut, au mieux, devenir plus juste. Or il y a un bel avenir pour les erreurs en voie de réajustement, en renonçant à l’autorité morale des uns sur les autres, en délaissant le pouvoir qui prétexte que son savoir la rend décisive. 



De la poésie nouvelle


Logiquement, la poésie éprise d’innovation a la phobie de l’ancien, l’avant : c’est déjà beaucoup, c’est presque immense. Est-ce sa seule phobie, peut-être, mais corrélée à celle de l’autre, qui existe dans les poètes qui évoquent un peu trop l’avant, l’ancien, selon la poésie nouvelle. Schématiquement, à la beauté peut se substituer la laideur, au bien se substituer le mal, au vrai se substituer le faux, au bon se substituer le mauvais, à la logique se substituer l’illogique, l’arbitraire. Or sans la conversion du lecteur à apprécier la poésie nouvelle, pas en étant saisi de dégoût par de telles substitutions, mais en appréciant mieux, plus utilement et plus finement, agréablement, la nouvelle poésie que voilà, sans le lecteur nouveau, il ne reste rien d’autre à convoquer que l’économiste et la satire. On a vite choisi. La satire publique est sale. L’économiste, qui est poète, nous assure de la santé des comptes des éditions poétiques. Le lecteur est rassuré par son investissement. C’est la fin du lecteur. Un lecteur, ça se tait. Fermez-la. L’esprit, par contre, gueule sa douleur de condamné par la nouvelle poésie, qui substitue la haine de l’un à l’amour de l’autre. À ce stade, il peut refermer la majorité des livres, le mal dont on l’accable se charge de refermer pour lui ceux qu’il a aimé. Si des bonnes choses vinrent des livres, des mauvaises ont pu en sortir également, par la volonté de leurs auteurs. Le malheur, monsieur, madame, fut si vaste, que la question ne se pose plus : rien de bon, rien de mauvais, refermez ça et laissez la poésie nouvelle aux intrépides, aux immortels, aux plus avertis. Il y eut la haine de la raison, la haine de l’autre, la haine de l’étranger, la haine de l’humanité, la haine de la sagesse, la haine de la poésie, la haine du dialogue, la haine de l’amour. C’est le tour de la haine du lecteur, la haine de la minorité invisible, la haine personnellement et impersonnellement dirigée vers toi, vers moi qui t’écris, vers toi, qui me lis. Le dérèglement des sens, voulu et imposé par des fans incohérents de poésie classique et critique à des personnes violentées et affaiblies, se changea en handicap, psychiatrique et social. La poésie vivifie, l’esprit se soigne, du mal on peut guérir. Il en reste la haine des fous, la haine de la psychose. Pendant que l’on soignait ce dérèglement des sens, qui n’était pas antipoétique car jeunesse se fait, l’intérêt des autres s’est déplacé : changer la vie ne va pas sans sacrifices. Le lecteur déréglé est invité à changer la vie, pas avec des critiques et des remarques, jugées morbides depuis la réforme vitale qu’on a décidé. Il est prié de changer, car il ne s’intègre pas. La vie n’attend pas, qu’on n’attende pas de la vie plus que ce qu’elle peut donner. Ainsi va la vie nouvelle, il y en a de partout, il suffit de s’intégrer selon la poésie nouvelle, la raison nouvelle, l’autre nouvelle *1*, l’étrangère nouvelle, l’humanité nouvelle, la sagesse nouvelle, la dialogue nouvelle ~2~, l’amour nouvelle °3°. En avant ! La poésie tu seras. 


*1* Pourvu qu’elle soit bonne.

~2~ Anciennement appelée la conversation.

°3° Mais pas plurielle.


De la poésie pro-, qui ne se tait pas


Le développement précédent, si binaire que j’en demande pardon, est binaire comme le sont l’instant d’avant par rapport à l’instant d’après, celui qui suivra l’instant présent, qui est celui où nous sommes, où je suis. C’est l’instant du vivant, celui que nous aimons, l’instant qui sauve, ou qui en porte au moins toute la possibilité et souvent davantage. L’instant a été fait ainsi, il est de simple facture, mais solide, nous ne pouvons que l’honorer en le rendant aussi bon qu’il le promet. Le binaire qui succède à la perception trine de l’existence est parfois schématique, c’est un passage obligé quand on se propose d’examiner la logique de l’ancien et du nouveau, qui fait peu de cas de l’instant présent. La dialectique, que j’aborde ailleurs plus longuement, n’est pas nécessairement binaire, ni même paire, ni dans sa progression, ni dans ses prémisses, ni dans ses conclusions, malgré la nécessité d’en passer par le deux en allant de l’un jusqu’au trois. Mais il est probable que la dialectique marche sur deux jambes, comme la plupart des poètes, des philosophes, des passants et de mes amis, sans exclure les autres en mouvement, que leurs moyens soient impairs ou pairs. 


Les poèmes sont un exemple de ce qui rassemble des instants présents. L’explication à ce sujet, l’instant présent, a lieu dans l’appréciation du goût qu’ils proposent et l’avis de tout lecteur, ou témoin de leur lecture. Les critiques qui ressassent leur arbitraire leçon, leur refus du genre ancien au profit du genre nouveau, sont indélicates, déplacées en matière de goût, de style et d’éthique, lorsqu’il s’agit d’apprécier des poèmes. En poétique, la critique peut proposer, tantôt sur un mode constructif, tantôt sur un mode destructif, voire éruptif, ses vues nouvelles et ses souhaits, les enjeux de la poésie et la situation nouvelle. La critique médiatique repose sur un tact et une sincérité, que l’encensement circulaire et les louanges d’un milieu épuisent. De tels caprices d’initiés ne peuvent que conduire le lecteur à réduire, au mieux, ces critiques à des ironistes, au pire au renoncement, dont la lecture et l’esprit qui nous est commun souffrent, à commencer par la santé mentale des locuteurs de la francophonie. 


La réciprocité n’est pas une vilénie, mais une reconnaissance et une courtoisie. Un dialogue de sourds, au sens figuré, pose le problème du mal qui atteint la communication, qui n’est pas le problème du sens figuré rendant hommage au sens propre, comme si des figures de style et des métaphores hantaient la réalité des dialogues à tel point que les gens ne voudraient plus se parler communément, se comprendre, comme si c’était chacun sa langue, dont les réinventions vouaient les uns au succès, les autres à l’échec ; ou comme par compassion envers les sourds, qui peuvent lire et dialoguer par écrit, pourtant, tout comme ils peuvent dialoguer entre sourds en communiquant par le langage des signes, la gestuelle et l’expression du visage. Face à la surdité de l’esprit, hurler spirituellement ne sert à rien, mais la sagesse et la philosophie, la religion et la bonne volonté proposent des leçons qui s’appliquent tantôt à soi-même, tantôt à soi-même et à l’adresse des autres, tantôt qui sont consacrées à soi-même et tantôt consacrées à soi-même avec les autres, c’est là que l’esprit nous aide, à l’écouter et à l’entendre. 


La langue commune n’est pas la défaite de la poésie, plutôt sa condition première. La garder, ou la renier pour une autre à soi, ou combiner les deux, ou l’éprouver avec des difficultés qui feraient de toi et de moi des monstres, soumis au jugement des autres, ces possibilités sont fort différentes de la loterie, où les tickets sont soit gagnants, soit perdants. Le lecteur et le poète, celui qui écoute et celui qui parle, celui qui est chez lui et l’invité, celui qui peine et celui qui pratique couramment, rencontrent des milliers de sentiments variés, mais aucun qui soit moins fort et vrai, par la justesse et la bonté qu’il veut y mettre de bonne volonté, que la grande joie et la petite peine éphémère du gagnant et du perdant à la loterie. Quel qu’en soit le gros lot, bien qu’une somme d’argent puisse changer la vie d’un pauvre, je crois que personne de sincère n’échangerait sa chance en parole contre sa chance en argent, tout bien réfléchi. Tout bien réfléchi de mon côté, la justesse de la parole et sa liberté sont la mission de la poésie, qui peut aider bien des âmes de lecteurs à souffler, en maintenant la parole, en conservant sa mission, en transmettant sa liberté et en approfondissant sa justesse.





samedi 18 juin 2022

MÉTACRITIQUE : CRITIQUE DES CRITIQUES. De la réception nouvelle de l’ego idéalisme.



Exposition :

La poésie ne peut accueillir toute l’arrogance inculte et moralisatrice de France, à l’heure où sa destinée principielle émerge en vertu de l’imminente révolution du consentement à la sagesse de l’ego idéalisme.

mercredi 22 septembre 2021

CHRONIQUE : Le Platon des mirlitons

  

 

Si donc un homme en apparence capable, par son habileté, de prendre toutes les formes et de tout imiter, venait dans notre ville pour s'y produire, lui et ses poèmes, nous le saluerions bien bas comme un être sacré, étonnant, agréable ; mais nous lui dirions qu'il n'y a point d'homme comme lui dans notre cité et qu'il ne peut y en avoir ; puis nous l'enverrions dans une autre ville, après avoir versé de la myrrhe sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes. 

(Platon, République, Livre III, 398)





Poésie, où vas-tu ? Poète, que fais-tu ?

La critique la plus éparse et la plus crasse vous requiert.


Toute la profession était convoquée. Le procureur se présente, ébouriffé. Tout le monde embrasse son voisin. Le procureur, ému, déclare à l’assemblée :


Je suis l’humour, d’une charité prodigieuse, 

qui provoque le rire et les aveux de l’hypocrite.

Poète, il est mort le printemps !


J’entends ta langue poétique au devenir philosophique, elle est réglée comme du papier à musique, j’entends. J’entends qu’on dit aussi beaucoup de mal à ton sujet. J’entends grincer les arts désaccordés. Il y a parmi vous force salauds. Exemple : le salaud qui a pris le parti de la rime... C’est un mauvais parti de droite !


J’aperçois maintenant quelque part, dans le fond, sans audace, la nostalgie qui abat tant d’alexandrins, à faire soupirer d’ennui nos plus grands mètres...


Avancez à la barre, grand-mère, doucement...


Je n’y arriverai jamais !


Votre absence n’en sera que plus éloquente.

jeudi 29 avril 2021

LECTURE : Quart livre des reconnaissances, de Jacques Réda, LE BON POÈTE

 



Quart livre des reconnaissances, Jacques Réda, Éditions Fata Morgana, 2021



Réjouis-toi, poésie ! 

Jacques Réda publie.


Le Quart livre des reconnaissances est l’un des rares livres, l’un des seuls, en 2021 et au-delà du temps, qui réveillent le lecteur de poésie égaré ou déçu par la production moderne. 


Le Poète, fidèle à sa Muse, a su marier la forme et le fond dès les premières pages, qui s’ouvrent sur les Fragments d’une épopée du mètre avec la suite Le Roland sérieux : 


I

Décasyllabe est le vers féodal 

Du preux qui tient ferme sa Durandal


Entièrement composé de vers de dix syllabes et traitant des origines de la langue littéraire française, ce poème fourmille d’intentions, de trouvailles et de rimes, d’allusions et d’évocations historiques qui en font, outre une parodie tardive de la chanson de geste, une lecture chantante, une coupe légère qui accueille en elle les siècles et les esprits, sans imposer leur poids. Le geste donc, est large, ouvert, bienveillant.


mercredi 28 avril 2021

CRITIQUE LITTÉRAIRE : Deux livres de Pierre Vinclair


Pierre Vinclair (Prise de vers, La rumeur libre éditions, 2019), 

(Sans adresse, Éditions Lurlure, 2018)



CRITIQUE :


Cela est fort vaste, 

me dis-je en moi-même…

This dice is the last

à moins d’un poème…


Pierre Vinclair, Prise de vers,

Sans adresse, et Le coup de dés


Il versa tant dans l’analyse 

que ses pieds étaient dans la mouise.

Que faire d’un texte illisible

censé bichonner l’impossible 

s’il n’est que la déduction 

du possible sans traduction ?


À ses parents, amis, marmaille

il fit des sonnets sans rimaille

longs de cent soixante-huit mètres 

qu’il coupa en dodécamètres 

ciseaux en main, en bon psalmiste 

ou comme en poète modiste.


Cent soixante-huit obélus 

quatorze font douze, pas plus.

Alors la rime est ajournée 

car trimer toute la journée 

sur sa pierre, comme un tailleur…

— Sa vérité était ailleurs !


Modestement, il fut formel :

Oui, le sonnet est éternel 

à condition de le former

de l’informe vers l’informé.


Ce sujet, qui fera l’objet

d’un prochain cours sur le rejet

et le contre-rejet sans rime

en fin de vers, est fort sublime.


Nous y aborderons l’ouvrage

du sonnet, qui, hors de la page

bondit dans la réalité 

et regagne l’éternité 

avec sa complice, la prose.


En attendant l’apothéose 

reprenons nos méditations

et rangeons nos tabulations.


… Pourvu que demain 

je leur fasse un cours

Sur un écrivain

dont j’ai fait le tour…

 

mardi 13 avril 2021

CHRONIQUE : Le Printemps des Peuples




Il y a de quoi s’étonner en lisant page 115 de Levez-vous du tombeau (2019, Éditions Gallimard) la conclusion de Jean-Pierre Siméon : « Les peuples meurent d’avoir perdu la poésie ».

Certes, telle n’est pas vraiment la conclusion, puisqu’il s’agit de l’avant-dernière page de l’ouvrage ; à la page suivante, qui est bien cette fois la dernière, il écrit et rend hommage à Aimé Césaire : « Nous sommes définitivement avec toi / Sous “la pluie des chenilles” / Du côté de l’espérance. »

Ainsi espère-t-il, je le suppose et je l’espère avec lui, en la résurrection des peuples. Et vraiment, je pense la chose possible, sans doute probable et peut-être prochaine, bien qu’il y ait fort à faire — car si j’en crois la Bible, en Palestine il y a pratiquement deux mille ans, un homme nommé Jésus est mort et ressuscité. Or ni son nom ni sa mémoire n’ont cessé de vivre depuis sur terre. Si ce fait est exact, et bien que certaines personnes le tiennent pour une légende, les peuples seraient donc également promis à un avenir mémorable et glorieux ? Dieu, dans son infinie bonté, a ressuscité un homme ; pourquoi refuserait-il de ressusciter les peuples ? 

dimanche 7 février 2021

CRITIQUE : L’étiquette Poésie

Impression, soleil levant, Claude Monet, 1873


Le fait est éreintant. Ils voient, mais ne distinguent pas. Ils voient, mais ne regardent pas. Ils se montrent incapables de faire place à l’avenir, à ceux qui sont bienvenus. Ils dégoûtent même de lire, ils dégoûtent de l’art qui les nourrit, qui les élève, qui les honore. Leur plus récente invention, après celle, historique, de la « mort de Dieu », en est la déclinaison sur le mode poétique : la fin et le dépassement du vers régulier.

Cette invention de pervers bavards et universitaires ne découle pas de la « mort de Dieu » tout sainement, tout naturellement, comme si, à la désolation universelle, succédait logiquement l’abandon de l’harmonie et du rythme : la foi eût déserté tout être, dont la poésie. Mais loin de la logique (qui évoquerait encore trop subtilement l’existence d’un « Principe »), l’idée proprement satanique, en dénigrant la pratique du vers régulier, c’est dire et faire : « Dieu est mort... ça n’aura pas suffi ! Inoculons le poison de l’anarchie dans le vers, espérons que ça nous suffira à gérer les fonds. » Ainsi le vers, devenu véreux par l’opération de discrédit jetée sur le vers régulier, repasse-t-il par les mêmes véreux qui passent pour être les poètes de leur temps. Sollers, par exemple, dans son prochain roman (à paraître chez Gallimard en 2021) reprend lui aussi, comme tout le monde, la litanie « Dieu est mort » : tel est le fonds de commerce permanent de la littérature contemporaine. Il est commode de faire « genre Dieu est mort », cela vous donne un genre « nouveaux poètes ». 

Cette ixième itération d’un préjugé littéraire, qui a décimé assez de forêts pour rendre l’atmosphère irrespirable, a remarquablement fini par révéler son fond. Une telle confusion, un tel acharnement de poètes contre la régularité de l’être, contre le sens de la vie, ne peut que déclencher le soupçon, un appel du pied au réalisme. Dans quelles misérables intrigues la poétique ne nous aura-t-elle pas plongés, tant et tant qu’on peut se douter qu’elle aussi manigance un roman. 

Rien ne peut m’empêcher de mettre en doute le soi-disant pouvoir de la nouvelle poésie à évoquer la totalité de ce qui fait sens et qui est doué d’être.

Je ne suis pas formel, je suis réaliste. L’harmonie, le vers régulier, ne représentent pas, ne doivent pas former une représentation de l’existence de « Dieu-du-temps-où-on-y-croyait » ; et le vers libre ne représente pas formellement la « liberté », sous peine de représenter un art monumental de très mauvais goût.

Si le goût se forme par cristallisation, il se fige par uniformisation du style, et se perd dans la désagrégation des voix mal contenues, trop faibles et sans personnalité. Si rien ne vient contredire le goût dominant dans l’opinion poétique, il se gâte. La diversité permet que, la différence aperçue, elle enrichisse le regard et apprenne à vivre avec et autrement. Si on ne voit pas quelques unités de poèmes en vers réguliers se faire massacrer par des cohortes de vers libres, ce n’est pas parce que ça n’existe pas, mais parce que les éditions Couillebrand ont tout fait pour ne pas en publier. 

Incipit : Après le matraquage de la campagne promotionnelle « Dieu est mort », les éditions Couillebrand voulurent rentabiliser le fonds immense et millénaire de la poésie française. Les éditeurs censurèrent tous les nouveaux poèmes pour leur substituer une prose qui n’avait, sous bien des aspects, de « poésie » que l’étiquette. Couillebrand instaura l’usurpation de tous les titres poétiques en vigueur sous la bannière cauchemardesque de l’épouvantail « Rimbaud », le plus halluciné de tous les non-poètes (il eut au moins deux vies, dont l’une exprimait le refus de l’autre). Plus d’un siècle après lui, une pesante discrimination culturelle, antipoétique, domine les lettres françaises. L’imposture prospère sur le fumier de la « tradition » qu’entretiennent des versificateurs nostalgiques, dont les poèmes ne reposent sur nul autre vécu que la mémoire de leurs lectures des auteurs du passé. 

Il y a bien des contorsionnistes de la critique et du commentaire poétique pour signaler, par de grandes gestes anthologiques, que les rythmes et les sons, le « swing » et la voix, font de la poésie la sœur de la musique. Mais ces bons poéticiens, soit servent au système Couillebrand à enterrer les déchets poétiques du siècle, en stylisant leurs critiques jusqu’au dégoût d’y trouver rien de positif (tel était le cas de Henri Meschonnic), soit ne prennent part à la discussion que par vanité de créateur, en laissant entendre à demi-voix qu’au fond, après eux, selon toute probabilité, plus personne n’ira ressusciter le vieil alexandrin épuisé. Jacques Réda en est l’exemple, lui que Couillebrand n’a pas assez promu en livre de poche, pas récemment à ma connaissance, pour que la poésie musagète et son enjeu cosmique viennent déflorer les oreilles et dessiller les yeux d’un plus grand nombre d’épuisés, eux aussi, par la raréfaction éreintante du vers régulier. Ou comme un autre Jacques, du nom de Roubaud celui-là, qui a écrit le très remarquable La vieillesse d’Alexandre, sur fond de pessimisme rusé, en fréquentant malgré tout l’alexandrin et le sonnet, entre autres formes poétiques. De tels soleils ne mériteraient-ils pas un peu la fraîcheur des rayons de librairies ?

Pour finir, un mot d’amour : il est beau, mais un peu triste, que les poètes soient presque toujours des grands-pères, vénérables et bien-portants, mais dont l’exposition médiatique à un grand âge rend suspecte la volonté des éditions Couillebrand, qui pourraient bien, une fois de plus, faire accroire ainsi que la poésie est certes un belle et aimable vieille chose, qui porte en elle un fonds ancestral et mémoriel, que l’on doit respecter comme Couillebrand respecte mon porte-monnaie, mais qui a déjà vu passer le plus clair de ses jours, et qu’on ne devrait pas perturber plus longtemps avant qu’elle nous fasse un dernier et fragile salut du pied, en guise d’adieu poétique. À cet égard, la disparition d’Yves Bonnefoy, surmédiatisée par son versant poétique, a laissé l’impression d’un grand vide, d’un sombre cercle inversé, l’impression que c’était la poésie elle-même qu’on enterrait finalement. Là, Couillebrand avait trouvé une complice de choix dans la parole médiatique, dans la grande fossoyeuse d’actualités qui, rappelons-le, est à la poésie ce que l’eau est au feu. La poésie ne sert jamais si bien la presse qu’en la faisant bouillir.

CRITIQUE : « Que reste-t-il de la poésie ? », livre de Dana Gioia


Dana Gioia : Que reste-t-il de la poésie ? 

traduit de l’anglais par Renaud Toulemonde, Éditions Allia, 2021.

Ce court essai de l’écrivain et poète américain Dana Gioia, premièrement publié en langue anglaise en 1991, vient de paraître chez Allia en France et c’est une bonne idée.

L’intérêt premier de ce livre, c’est d’exposer la situation de la poésie en Amérique en des termes facilement transposables en France à notre époque. D’ailleurs, ignorant tout moi-même de l’état sociologique de la poésie américaine, je le reçois et le traite pour ce qu’il peut me dire non pas des États-Unis en particulier, mais de la poésie en général. Je suppose que cette lecture choquera quelques-uns, mais elle justifie en partie l’initiative éditoriale d’Allia en 2021 en France, où la place minuscule de la poésie dans la culture ne devrait pas permettre qu’on s’effarouche qu’un blogueur tel que moi prenne la substance d’un livre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une vivification de l’esprit susceptible de profiter à tout le monde.

Sous la forme badine d’un debriefing dont les Américains ont le secret, l’auteur dénonce la spécialisation de la poésie, désormais affiliée aux cours universitaires de création littéraire. Donnés par des poètes institutionnalisés, pour un public toujours plus confidentiels de poètes et de moins en moins lus par le grand public, la poésie, selon l’auteur, se rumine dans l’entre-soi. « La poésie américaine est désormais l’apanage d’une coterie. » (Incipit, p. 7) Les revues n’intéressent plus que des poètes, eux-mêmes auteurs et lecteurs de poèmes, à peine le public cultivé. La professionnalisation des poètes fait de la poésie l’intérêt d’une petite communauté qui n’hésite plus à honorer les siens, parfois au détriment de la qualité intrinsèque des publications. Ainsi, la critique sincère n’étant guère plus produite, mais systématiquement bienveillante, on entortille la poésie dans le sirop de la connivence. La culture populaire tient la poésie pour morte, puisque dévitalisée, coupée de ses racines existentielles. 

Sans doute l’essor d’Internet a permis, depuis la publication de ce texte, de transmettre potentiellement la poésie à un plus grand nombres de lecteurs.

Il manque sans doute aussi à cet essai des développements qui atténueraient son tour un brin caricatural, car s’il vise juste et touche souvent sa cible, ce tour d’horizon laconique, flegmatique, laisse un champ dévasté par le pessimisme de la concision, un pessimisme trompeur dans la mesure où tout semble normal si l’on n’y prend garde, tant l’aperçu semble impeccable. La synthèse critique a quelque chose de lénifiant malgré son coup pamphlétaire, qui semble nous dire : « Dormez braves gens, c’est la poésie qui passe... au prochain tour elle meurt ! » 

L’auteur, qui avec beaucoup de sang-froid prétend dominer son sujet, verse dans une analyse qui pèche par une vision trop verticale du pouvoir et du cercle des poètes universitaires et institués, tandis qu’une enquête plus étendue, un road-trip moins confiné qui explorerait les grands espaces poétiques et profonds de sa terre d’Amérique, l’aurait sans doute mené à trouver, du moins à chercher la poésie ailleurs que dans les seuls lieux qui l’estampillent. Ce défaut confère à sa critique un air aseptisé qu’il est le premier à dénoncer dans le monde universitaire. Mais sa brièveté ne passe pas à côté de l’essentiel. Dana Gioia est également conscient du rôle que doit jouer la poésie du langage et ceux qui la font : donner, au-delà des classes et des assignations, un sens à nos existences. Conscient de l’importance du langage dans la culture, il se prononce contre l’élitisme et le repli sur soi, en faveur d’une poésie qui se communique et se transmet.

L’essai se finit sur des propositions selon lui à même de sauver la cause de la poésie, en la faisant battre dans tous les cœurs et dans tous les esprits. Il prône donc la lecture publique, par les poètes, d’autres poètes qui leurs soient inconnus ; le décloisonnement des arts, en invitant notamment la musique à participer aux événements poétiques ; des critiques et articles aussi sincères que possibles, sous la plume des poètes, dans de multiples publications non spécialisées ; un appel à exclure de toute anthologie poétique les intérêts partisans ; et enfin, une proposition qui, contrairement à toutes les autres, va à rebours du sens communément admis par nos spécialistes français de poésie (qui depuis l’avénement du web ont largement mis à profit les autres propositions, le plus souvent en reproduisant les mêmes travers incriminés) : que prévale, en classe, la récitation sur l’analyse, en partant du principe que « les poèmes sont faits pour être lus, appris et récités » (p. 56). Cette proposition, qui a le don de me plaire, épouvantera peut-être des poètes et poéticiens français encore en vie, qui se sont époumonés à refuser à la poésie la chance qu’on la récite. Mais Dana Gioia va encore plus loin, puisqu’il ose ce qui relève du blasphème, même ici, en affirmant que le « plaisir des mots » participe de la poésie, et même, au sujet de l’oralité : « Il se pourrait qu’elle détienne aussi les clés de l’avenir de la poésie », conclut-il. Il y a donc des raisons d’espérer.

Y’a-t-il un remède au mal ? Doit-on sonner l’alarme en faisant, pourquoi pas, résonner ce qui reste de poésie, là où nul ne l’attend, ni ne l’entend plus ?

À la question Que reste-t-il de la poésie ? (Can poetry matter ?, que j’aurais personnellement traduit par : Qu’importe la poésie ?), on pourrait répondre par une autre question : que faire de la poésie ? sinon des poèmes.... Ou encore : que faire à la poésie ? sinon une place...