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jeudi 4 mai 2023

La poésie sacrifiée


Le Bouc émissaire, William Holman Hunt, 1854


 La poésie sacrifiée


D’abord il y a l’idée immonde d’insinuer qu’un poète classique doit être âgé ou mort.


Puis celle de « faire ce que je dis… pas ce que je fais… »


Viennent les abus presque délictueux pour susciter les soupçons permanents, engendrés par des communications où domine systématiquement le style indirect, voire insensé, où se perd l’art.


Après le travail de mémoire, et avec elle, on doit savamment se départir du sens historique, à moins de nous rendre fous si on l’impose à tout bout de champ sans l’évoquer.


On peut se choquer progressivement de constater l’opacité de pouvoirs entre les mains, non d’élus, mais de n’importe quels amis dénués du moindre égard et de la moindre estime hors de leurs cercles apeurés.


Il est fort pénible d’être témoins que les plus anciens de nos poètes et les gloires posthumes sont bafoués par d’innombrables originaux, dont le seul point commun est la connivence pour ne poétiser que dans leurs langues innovantes codifiées, et d’exclure jalousement ceux qui ont le don de savoir faire la même chose en langue et en poésie française.


L’idée se tient de redéfinir le mérite des poètes. Pas « les premiers seront les derniers », qui dénote d’une erreur de lecture et d’une démesure qui assimile ce pouvoir au pouvoir religieux, qui n’y correspond absolument pas. Des poètes en grand nombre peuvent se dire et s’entendre dire, eux aussi, de revoir leurs copies, sans que cela les heurte, au lieu d’envahir les librairies de poèmes à peine ébauchés. Ni un diplôme, ni une filiation, ni un service, ne peuvent servir de troc au lieu de l’art de poète et l’art de lecteur, l’art de faire un livre non avec des calculateurs ou des « gens du bouquin », mais avec des artisans du métier des livres. Des individus cultivés ne peuvent se satisfaire de pourcentages, même d’un seul, qui ne dit rien, surtout pas qui veut lire des poèmes et si les livres de poésie sont lus, avec quel bonheur. Lorsque la philosophie vend des livres, elle s’achète et se cultive, elle se médite et se prononce, elle est étudiée, a priori, bénéfiquement, on peut l’apprécier entre adeptes et passants. La poésie peut répondre aux mêmes critères de diffusion et de difficulté, de recherche et de culture. Son effet, sa lecture, son bénéfice culturel s’apprécient autrement que la philosophie, plus sourdement et implicitement, longuement non traduite afin d’apprendre à l’aimer en la langue de son pays et dans les sphères où on la parle et sait la lire. 


Associer la lecture en principe préparée, artiste, apaisée, à une peine, à une chose pénible, c’est un choix absurde, qui impose aux poèmes l’opposé de leur vocation.


Quel que soit leur style, les poètes devraient éviter de se commettre trop souvent avec les pouvoirs décisionnaires de leur marché, auxquels personne ne gagne à se rendre désagréable plus que de raison ; ou bien chaque partie prenante à ce jeu, tout poète a fortiori, se devrait d’en rendre compte dans un langage des plus directement raisonnés et conscients des problèmes les plus vifs, tel que celui de l’exclusion d’un style. Et ce avec la plus grande impartialité.


Enfin, il serait évidemment grossier de produire un artifice et une trahison telle que la résurgence spectaculaire et soudain vantée de ce style si longtemps dénigré, en s’obstinant à tenir à l’écart ceux qui l’ont cultivé pendant ces années. Comme une génération que ses éducateurs auraient sautée, prise en étau entre l’ancienne et la nouvelle, cela n’aurait plus le goût amer du fiel, mais l’aspect du sacrifice de boucs émissaires, si sordide, à vous glacer le sang, chers innocents.