Dans les yeux de Sœren il y a l’Idée, regarde !
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Søren Kierkegaard (1813-1855) par Niels Christian Kierkegaard vers 1840 |
Il y a ÊTRE et AVOIR. ÊTRE nous pare de nos qualités les plus variées. Seul ÊTRE rend possible le DEVENIR. AVOIR comporte une logique binaire (avoir ou ne pas avoir) et numérale (avoir en quantité, ou en manquer).
Aucune philosophie pérenne, aucune poésie véridique, ne peuvent se fonder sur AVOIR sans comprendre en même temps ÊTRE. Car AVOIR sans ÊTRE réduirait l’existence à un spectacle, où le billet d’entrée serait la seule preuve que le spectateur assiste bien à une mise en scène, contrairement à la réalité telle qu’elle est communément vécue. Preuve bien fragile et sujette à mille tracas si l’on venait à la perdre ou si l’annulation du spectacle exigeait un légitime remboursement, et qui ne résisterait pas à l’épreuve du temps lorsque viendrait pour nous l’instant du ressouvenir, l’âme emplie de l’attente émue d’une réminiscence qui prouverait la valeur du spectacle depuis longtemps terminé, par-delà l’ogre indifférent des ans, mais hélas... les doigts fébrilement cramponnés à un vulgaire bout de carton ! Seul ÊTRE, sans titre de transport ni billet, permet de distinguer la vérité du spectacle.
Il y a un joli verbe anglais qui combine ÊTRE et AVOIR : BEHAVE, se comporter. Il est bon de savoir se comporter convenablement. Mais il est beau de savoir se comporter dignement à travers l’épreuve du DEVENIR. Voilà pourquoi seules les trois possibilités ÊTRE, AVOIR, DEVENIR en même temps peuvent satisfaire au besoin de sagesse auquel chacun de nous se propose de répondre.
Si j’énonce enfin cet aphorisme :
Aimer, grogner, pleurer et rire, tels sont les quatre stades du dionysiaque.
On peut observer que :
— AVOIR seul est un constat lassant, une morne énumération : avoir aimé ; avoir grogné ; avoir pleuré ; avoir ri.
Qui se satisferait uniquement d’AVOIR ?
— ÊTRE seul est plus réjouissant, mais laisse à désirer : être aimé, être aimable, être amoureux ; être grognon ; être en pleurs ; être riant.
Mais si ÊTRE est plein de vertus, il exige qu’on lui donne un sens.
Voilà pourquoi DEVENIR, avec ÊTRE et AVOIR, c’est se lancer dans l’inconnu avec les possibilités qui donnent à la vie sa valeur d’être vécue.