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dimanche 3 avril 2022

TRACT : La valeur argent

Guernica, Picasso



 


Tract : La valeur argent


David Rolland


  1. Qui a institué l’argent ?
  2. Personne (ce n’est pas Dieu).
  3. Qu’ils se dénoncent s’ils vivent encore.
  4. La monnaie est le plus grand rempart dressé face à la conscience des corps : sans monnaie ces petites mains ne travailleraient pas, c’est ce que l’on a cru.
  5. Rien ne permet de juger les autres.
  6. Tout est injuste dans le système.
  7. Les individus ne sont pas coupables d’avoir des besoins.
  8. Le mérite n’est jamais dans l’argent.
  9. Le système du mérite fondé sur le gain d’argent est l’ennemi public numéro un.
  10. Sans monnaie pas de capitalisme sauvage.
  11. Il subsiste une devise pour la France et l’Europe (l’euro).
  12. La justice humaine veut l’échange d’un revenu solidaire universel contre la valeur de travail, en plus d’un salaire en fonction de l’activité.
  13. La justice de la dignité humaine veut la mise en vigueur d’un minimum de confort.
  14. La justice individuelle permet le droit à l’épargne et la propriété.
  15. La justice écologique nous met tous à crédit (limité).
  16. La justice économique ne permet qu’une seule banque (nationale).
  17. Toute personne morale ou physique est dans l’interdiction de polluer les villes, les campagnes et la nature (sous peine de poursuites et sanctions).
  18. L’accomplissement de la démocratie écologique implique la prise de conscience individuelle de chacun dans un but démocratique.
  19. Le système dicté par l’économie est discrédité par la sagesse humaine et l’innocence collective. 
  20. Les jeux de hasard basés sur le gain d’argent sont abolis.
  21. La monnaie n’a plus cours et l’argent ne repose sur le soi-disant mérite qu’une fois les besoins de chacun garantis.
  22. Plus personne ne part de rien. 
  23. Plus personne n’arrive nulle part.
  24. Les mathématiciens veillent sur le zéro et l’humanité veille sur tous ses enfants.
  25. L’argent est toujours conditionné par le vol.
  26. L’argent ne remplit pas les critères pertinents d’un marqueur d’évolution.
  27. L’argent et la monnaie sont des valeurs d’involution et de division.
  28. La valeur argent entrave la sélection naturelle.
  29. Le coût d’un même bien de consommation est fixe. 
  30. Extension du « prix unique » des livres à toutes les marchandises.
  31. La paix n’est pas une marchandise.
  32. Spéculer sur la vie revient à parier sur la mort.
  33. L’argent ne soigne pas l’angoisse métaphysique du temps qui passe irrémédiablement. 
  34. Rien ne peut soigner l’angoisse du temps, excepté la foi et la musique spirituelle. 
  35. L’angoisse provient de la course à l’argent qui génère une course pour la vie. 
  36. La distribution inégale de la richesse s’apparente à une angoisse matérialisée dans l’espace comme si, méconnu, inconnu ou hostile, l’espace était lui aussi mal distribué. 
  37. L’angoisse métaphysique est devenue réelle à cause du pouvoir de l’argent.
  38. La monnaie a valeur de solidarité et de mendicité jusqu’à l’extinction de toute mendicité.
  39. La solidarité est une valeur de civilisation. 
  40. La reconnaissance des individus envers l’ouvrage collectif de l’espèce humaine fonde la solidarité.
  41. Les inégalités de solidarité minent les perspectives de reconnaissance collective.
  42. L’argent est l’ennemi des enfants.
  43. Lorsque toutes les conditions de vie sont régies par l’argent, les inégalités qui ont conduit au système monétaire sont supprimées par les lois de l’économie et de la biologie. 
  44. L’argent est le symbole de la misère.
  45. L’argent est comme les larves : il pullule pour accroître ses chances de survie.
  46. L’argent parasite l’œuvre de la vie.
  47. L’existence humaine est l’instant d’une éternité ignorée et combattue par l’argent.
  48. Le monde exploité par les forces de l’argent est rendu immonde par la valeur abjecte de l’argent.
  49. Puisque de mémoire humaine personne n’a institué l’argent, qu’il s’efface du monde comme ses instigateurs.
  50. Le principe de ce monde repose sur la bienveillance. 
  51. La philanthropie en guerre contre l’empire de l’argent peut emprunter ses coutumes, à condition toutefois de le faire reculer.
  52. Les vocations philanthropiques s’inspirent de personnalités religieuses.
  53. La politique doit s’inspirer de la philanthropie pour que cesse l’injustice.
  54. L’argent circule dans le système parce que le malade veut vivre : l’exploitation par l’argent est un système d’appauvrissement des corps.
  55. Une fois que la pauvreté est abolie, l’argent ne peut plus circuler. 
  56. L’argent a naturellement tendance à automatiser le système dont il dépend et qu’il irrigue.
  57. Le remède à l’argent existe dans la confiance philanthropique. 
  58. La révolution de la valeur argent empêche toute personne de profiter ou de pâtir du système de répartition de la richesse.
  59. La valeur argent dissuade la citoyenneté d’exercer ses compétences en politique. 
  60. Le manque d’argent détourne des priorités mais peut conduire à les réviser.
  61. Comme le droit de chacun au minimum de confort, avoir de l’argent allège les soucis, mais l’argent corrompt davantage : il nie à d’autres les avantages qu’il donne aux uns.
  62. La retraite est un bon point de départ pour avoir l’argent qu’on mérite.
  63. L’argent met dans la gêne les proches d’un mourant qui se savait trop pauvre pour être enterré dignement. 
  64. On reconnaît au comédien le droit d’exagérer ; on le paie même pour ce spectacle.
  65. La vie n’est pas un spectacle qui privilégierait des acteurs professionnels grassement payés par la sueur des pauvres figurants.
  66. La valeur argent devient notre risée ; par conséquent l’argent n’est plus admis.
  67. La valeur argent empiète sur la confiance, l’argent n’est pas à sa place. Chacun mérite son minimum en argent. 
  68. Il ne suffit pas d’accorder sa confiance, il faut savoir qui la mérite, c’est là toute la complexité de la vie.
  69. Chacun mérite un minimum de confiance gratuitement : telle est la vraie valeur de l’argent. C’est là aussi le sens strict et premier du minimum de confort.

samedi 2 octobre 2021

NOUVELLE : Le Secret

 

Image © David Rolland



Lorsque le démon se pencha sur le cas de Bruno Loyreau, écrivain de son état, il choisit d’innover. En comparaison des mauvais traitements que les démons infligent habituellement à leurs victimes, il entreprit de faire mieux : plus vicieux, moins spectaculaire et résolument sur-mesure. 

*

En ouvrant sa boîte aux lettres un matin, Bruno Loyreau fut saisi d’un pressentiment : c’était le grand jour, le jour choisi par la chance pour lui apporter la bonne nouvelle, celle du succès de son manuscrit, après dix années infructueuses de tentatives de publication. Il s’empara du courrier des Éditions Couillebrand, qu’il attendait depuis trois mois, et rentra précipitamment le lire dans son appartement.


Monsieur Loyreau,
Nous vous remercions pour la confiance sans relâche que vous montrez à l’égard des Éditions Couillebrand. C’est non sans intérêt que nous avons pris connaissance de votre manuscrit La Césure.

Malheureusement, nous ne pouvons envisager de l’intégrer dans notre catalogue.
Salutations distinguées.

Ève-Renée de Prout-Prout.


Le démon se frotta les mains. L’interface truquée de son invention, qu’il avait mise en lieu et place de la réalité entre Bruno Loyreau et les maisons d’édition, fonctionnait à plein. L’apparence était parfaite : rien du réel ne transparaissait entre l’auteur et les éditeurs. Personne ne s’en apercevait. Les échecs d’aspirants à la publication étant monnaie courante, Bruno Loyreau se sentait incompris et s’endurcissait comme seuls les génies savent s’en accommoder. Jamais le pauvre écrivain n’aurait pu seulement se douter que son manuscrit avait été accepté depuis des lustres. Les éditeurs, qui s’étaient lassés depuis longtemps qu’un auteur si immodeste ne donnât aucune suite à leurs relances favorables, le tenaient simplement pour un doux rêveur ou l’un de ces plaisantins dont est remplie l’histoire de la littérature. 

*

Mais déjà Loyreau avait remis son ouvrage sur le métier, à l’affût de la moindre coquille, de la moindre faiblesse qui pouvait se nicher dans son roman La Césure. Il procéda à une dernière relecture avant d’envoyer son manuscrit à son éditeur préféré, le redoutable Brandon Marlou. Le démon ajusta plus finement l’interface trompeuse qui coupait du succès le jouet de son sadisme. Mais l’éditeur, qui reçut pour la onzième fois le même manuscrit, commençait à flairer qu’il y avait un loup. Un détail le préoccupait : comment ce génie de Loyreau pouvait-il méconnaître toutes ses lettres positives, ses coups de fil joviaux, depuis dix ans jour pour jour, et lui infliger pour la énième fois de feindre le jobard, l’impétrant, le soumis, laissant croupir son chef-d’œuvre dans l’anonymat le plus médiocre ? Est-ce qu’il le prenait pour un con ? Moi, on ne me prend pas si longtemps pour un con, pensa Brandon Marlou. Je vais enquêter un peu sur ce Loyreau de merde... Et qu’il me foute la paix avec son satané roman ! 

*

Bruno Loyreau rentrait chez lui ce soir-là après une journée de travail à la bibliothèque d’étude. Brandon Marlou l’attendait. 

— Bonsoir... Bruno Loyreau je présume ? 

— Oui !

Mais le démon, qui guettait leur rencontre, déploya son interface piégée en un rien de temps pour tromper l’éditeur, qui crut entendre : « Non ! » et répliqua aussitôt : 

— Excusez-moi, c’est une erreur.

Loyreau, lui aussi, avait reconnu le célèbre éditeur. Interloqué, il pensa que l’autre lui parlait de son manuscrit. Mais pourquoi se serait-il alors déplacé pour lui dire : « c’est une erreur... » ? 

— Vous êtes Brandon Marlou, n’est-ce pas ? 

— C’est moi. 

— J’admire beaucoup votre travail. En particulier l’édition complète des études de H.G. Simpson sur la symbolique de la rature dans les écritures gnostiques au IVe siècle.

— Je vous en remercie chaleureusement ! Je n’en ai pas beaucoup vendu en dix-sept ans. Vous êtes un fin connaisseur. 

— Vaguement... Disons que je m’y intéressais beaucoup avant d’abandonner ce sujet pour me lancer dans un roman... hélas !... Dix ans de ma vie... L’avez-vous lu au moins ?

— Peut-être, quel est son titre ?

— Le Secret, Monsieur Marlou, Le Secret. Dix ans de ma vie. J’y travaille encore, Monsieur Marlou. Bonne soirée.

Et Marlou le regarda entrer dans son immeuble en se demandant qui pouvait être ce drôle de type. Mais instinctivement, il le rattrapa de justesse et lui fit :

— Attendez ! Faites-moi entrer, je serais curieux de lire votre manuscrit.

*

Le démon s’épuisait en raison de la sagacité de Brandon Marlou. Il avait péniblement usé la plupart de ses sortilèges pour seulement altérer l’ouïe de l’éditeur, qui se révélait plus coriace que prévu. En outre, il avait dû improviser ce titre de substitution Le Secret, qu’il n’aimait pas, sans compter les efforts auxquels il allait devoir consentir pour réécrire le texte entier en espérant tromper la vigilance de l’éditeur. Tout cela lui annonçait un sombre présage : la fin de ses droits sur l’auteur. 

*

En pénétrant dans l’appartement de Loyreau, Marlou faillit s’évanouir. Une odeur immonde empestait l’atmosphère. Mais, se dit-il, l’auteur semblait n’en rien remarquer.

— Installez-vous confortablement dans le salon, M. Marlou, je vais chercher le manuscrit dans mon bureau. 

Il revint aussitôt avec les feuillets en main et présenta La Césure à l’éditeur, qui suffoquait sans pouvoir se calmer.

— Vite fait alors, ça p... euh, ça promet !

Il lut la page de titre. En effet... Le Secret... mmmh... Il parcourut quelques pages, qui lui parurent dignes d’intérêt. Mais il éprouvait une telle nausée qu’il dut dire à Loyreau :

— Laissez-moi ce texte, je le lirai à tête reposée. Il se pourrait qu’il m’intéresse au plus haut point. Là, je dois vraiment y aller. 

— Gardez-le. Je n’en ai plus besoin. Dix ans de ma vie. Je n’attends plus rien. Au revoir, cher Brandon. 

Vraiment bizarre ce type, songea Marlou en sortant de l’immeuble. Par curiosité, il regarda l’interphone et distingua, parmi tous les noms des résidents, celui de Bruno Loyreau. Il rentra chez lui en se jurant d’éclaircir définitivement ce mystère.

*

Adossé au siège de son bureau, au milieu des volutes de fumée d’un cigare, Brandon Marlou séchait. Rien ne concordait. Pour lui, l’auteur du Secret n’était pas celui de La Césure. Le Secret était un plat roman des plus ennuyeux, qui ne tenait pas ses promesses et comportait de multiples et invraisemblables maladresses, tandis que La Césure, qu’il tenait là devant lui, demeurait l’impérissable chef-d’œuvre qu’il avait toujours été. Pourtant, il en était convaincu, c’était bien Bruno Loyreau qu’il avait rencontré ce soir-là. Pourquoi l’auteur, si doué, avait choisi ce texte médiocre au titre banal, et pourquoi un pseudonyme d’auteur aussi absurde ? Des canulars, l’histoire de la littérature n’en manquait pas, mais d’aussi absurdes, Marlou n’en connaissait guère. Il ne restait qu’une seule explication : Loyreau était authentiquement fou. Il était possédé par une sorte de démon qui lui faisait sciemment rater, avec la plus grande maîtrise et le plus grand sérieux, tout ce qu’il entreprenait dans le monde. Brandon Marlou avait connu des auteurs. Des timides, des gâteux, des maladroits, des insupportables, des reclus. Mais quand il tenait un texte de cette envergure, il lui était impossible de le laisser passer. Loyreau, il en était maintenant persuadé, était un détraqué, un nombriliste contemplatif en mal d’amitié. L’éditeur allait employer la ruse pour attirer l’auteur dans son plan en le prenant par les sentiments. De cette façon, il n’en doutait pas, il parviendrait à le ramener doucement à la raison.

*

Le mois suivant, on sonna un matin à l’interphone de l’écrivain. 

— Bruno ! C’est Brandon. J’ai trouvé en tout point formidable votre manuscrit. Je veux le publier. 

— Mais comment...

— La seule chose qui me gêne, c’est le titre. Ce n’est pas qu’il soit mauvais, mais pour vous assurer le succès, il manque quelque chose, une accroche aux lecteurs.

— Bon, et vous verriez quoi à la place ?

— Un titre plus fort, plus tranchant. Que diriez-vous de... La Césure !


Il se fout de moi... soupira Loyreau en raccrochant.