mercredi 23 janvier 2019

Où intervient la poésie ?




Le degré moyen de la parole

Toute poésie a hérité d’un certain degré de style qu’elle maintient ensuite sur l’échelle de la parole, prête à en faire don comme d’une proie soumise au regard de ses lecteurs, y compris les plus pressés. Celle que je souhaite communiquer un jour aux lecteurs a été écrite dans le style « moyen », comme les océans abritent des poissons à des profondeurs moyennes, comme on peuple des villes de tailles moyennes, comme la plupart de nos véhicules sont faits pour couvrir des distances dites moyennes. Autrement dit, en voulant nommer une poésie « superficielle », on n’entendrait pas systématiquement sonner un reproche envers son éventuel défaut de consistance, mais aussi bien la formule générique pour nommer une poésie de la surface, de l’épiderme et du premier plan. On ne vanterait pas non plus, a priori, les mérites d’une poésie pour sa « profondeur » au seul prétexte qu’elle serait difficile, exigeante, recherchée, quand cela n’en dit pas moins l’enfouissement et la distance à parcourir afin de l’appréhender. Mais je voudrais encore, par cette épithète équivoque, nommer « moyens » des thèmes qui recèlent tout ce qui nous est – ou nous paraît – commun (ce qui n’exclut pas toujours le sublime) : Dieu, l’amour, la paix, le temps, l’espoir, pour évoquer les plus visibles. Si ce sont donc des thèmes de toujours, il reste qu’ils sont souvent difficiles. Le rôle de la poésie, à mon sens, c’est d’intervenir pour qu’ils soient vécus davantage comme sujets de pensées et d’expériences que comme sujets de complications avec suspension de la parole. Intervenir ? Pourquoi ? Auprès de qui ? Comment ? C’est ce que nous allons maintenant aborder successivement.

vendredi 11 janvier 2019

CRITIQUE LITTÉRAIRE : critique des critiques philosophiques


Maxence Caron, La Vérité captive, De la philosophie, Le Cerf, Ad Solem, 2009. 
2e éd. Les Belles Lettres, 2023

CRITIQUE

L’idée de ce livre, unique, est plutôt facile à penser, ou bien peut-être pas. Si pour tel ou tel lecteur curieux sa réputation ne le précède pas, son épais volume le préviendra tout de suite : un bon millier de pages. Toutes les bonnes bibliothèques universitaires le possèdent, c’est un critère. Le plus important sera de lire la préface de 300 pages. L’auteur y expose son thème et sa philosophie première à grands renforts de saillies pantagruélo-caustiques, de propos néologico-lyriques, d’embardées transcendantalesques vers son Principe, avec une langue de feu que lui envieront bien des séraphins. Tous les secrets de la mysticologie maxencéenne apparaissent dans cette prose de cœur, de chair et d’esprit. Il serait dommage de se priver d’une telle préface, car l’auteur y a déployé son grand art avec brillance, foudre, rage et clarté. 

Mais, dans les sections suivantes où l’auteur fera traverser l’épreuve du feu à d’autres pensées que la sienne, les confrontations avec les philosophes qu’il incrimine ne valent que pour des lecteurs qui connaissent déjà bien les œuvres en question. L’exercice du lecteur mal préparé s’apparentera, au mieux, à une fastidieuse lecture comparée. Le propos de Maxence Caron peut paraître didactique lorsqu’il s’en prend à Lévinas, Jean-Luc Marion et Derrida, et encore ! Mais il devient franchement ardu de le suivre quand ce sont Hölderlin, Hegel, Mallarmé, Heidegger, qu’il interpelle. — Dans la Bible, il est conseillé en plusieurs passages de veiller à trouver des témoins à un évènement auquel on assiste. Ainsi, si l’on n’est pas témoin des philosophies des auteurs examinés par Maxence Caron, il est à mon avis inutile d’en lire les pages. On n’y apprendrait rien. Rien en tout cas qui ne soit brillamment présenté dans la préface. À quoi bon fouetter dans le vide ? Seul une brave bête (ici, le brave lecteur) peut comprendre que son maître (le sujet de ce livre) claque du fouet devant elle. Le fouet, autrement dit, Maxence Caron. 

Le livre se termine sur un long poème. Je l’ai peu goûté. Trop de contorsions et de stupeurs hallucinées, trop de tintamarre et de grandiloquence suffoquée, trop de romantisme épouvantable et fardé à mon goût. Chacun au final trouvera ses entrées dans ce livre incroyable, selon sa sensibilité et son parcours de pensée. J’ignore si je lui ai rendu le moins du monde justice en le critiquant, et ma lecture telle que je l’expose ne rend pas compte nommément du sujet du livre, que l’auteur nomme la Différence fondamentale, mais j’ai voulu témoigner de mon approche en suggérant que l’auteur, éminent styliste, visionnaire inspiré et concepteur faramineux, n’est au fond pas le possesseur de sa philosophie, mais qu’il montre, qu’il donne à voir, qu’il spectacularise son sujet en faisant d’un sujet d’indifférence, la Différence fondamentale, en faisant de l’objet d’une risée, la Perfection vivante, en faisant enfin, d’un être spéculé, le Principe des principes. 

L’auteur, extrêmement prolifique, a aussi écrit un livre sur Johann Sebastian Bach. Il a encore publié récemment La Transcendance offusquée, moins réussi selon ma perception. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps. Il abordera d’autres philosophies dans de prochains ouvrages.

lundi 7 janvier 2019

CRITIQUE LITTÉRAIRE : Quartier libre à la langue de Molière, Racine...



 ALAIN BORERDE QUEL AMOUR BLESSÉE
, Réflexions sur la langue française, nrf GALLIMARD, 2014.

CRITIQUE :

Oui, c’est moi ! C’est moi ! Cocorico ! Sanitaires de la critique ! Parler droit, conférez-vous en le devoir ! Moi, ô moi, ta Muse, pourquoi, Français, m’as-tu abandonnée ? Je t’ai nourri. Au-delà de la tentation du vade-mecum, ce livre est un cri d’amour déchirant mais stratégiquement pensé et ordonné pour cingler l’écueil où la parlaison et l’écrivoiserie nous entraînent. Réac ? Que nenni, car de quel amour surpassé ! Néocons ? Fi d’un tel soupçon, car l’auteur m’a nantie de tous ses biens, et en enfer où je séjourne, j’ai grâce à lui l’agrément d’un certain confort. Je ne manque de rien pour survivre. Avez-vous lu un poème aujourd’hui ? Moi oui, le mien ! Castafiore, moi la langue française ? Oh écoutez, arrêtez votre mauvais esprit, et jouissez-moi un peu. Débutez-vous en me lisant ? Ce n’est pas désastreux ! Ni désespéré ! Mais regardez-moi autour de vous, je périclite ! Anglaise je fus ! Latine j’existe ! Grecque je professe ! Au-delà je crois ! Je serai moi demain. J’en pleurerais, et pourquoi ? Je suis comprise partout où on lit bien. Vous n’aimez pas mes voix ? Qu’attendez-vous pour me convoquer ? N’invoquez pas trop. Lisez. Ce livre est une pile de livres, un masse de pensées, une visite à mon chevet, une conversation avec moi. Avec vous ?

samedi 5 janvier 2019

Démissions

La Liberté guidant le peuple,
1830, Eugène Delacroix



Je t’aime, oh oui je t’aime, ô mère, ô douce France !

Pas d’un amour heureux ou qui aime à outrance...

Trop de cœurs impossibles, d’esprits dépeuplés
tout de langueurs acides au ventre plombés
trop de béances vides, d’amour rejeté
hantent ton corps avide et mourant de beauté...

Tant de cœurs impossibles, d’esprits dépeuplés
tant d’infamies passées dans le sang décuplées
écœurent les nations : écoute ton enfance !

Je t’aime, oh oui je t’aime, ô mère, ô douce France !