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vendredi 10 septembre 2021

LECTURE : Jacques Prévert vu par Michel Houellebecq

Jacques Prévert, 1961, dans le film Mon frère Jacques, Pierre Prévert
 
(source Wikipedia ©Jacqueline Prévert) 
Creative Commons

Jacques Prévert 

d’après le texte de Michel Houellebecq :
Jacques Prévert est un con
,
Interventions, Flammarion, 2020


— I —
ANALYSE


Trop de grands cons ont pignon sur rue dans les Lettres
pour que je n’en fasse la lecture aux toilettes...
me disais-je, bien accroché à ma tablette
lisant, lorsqu’un nouvel effort fit reparaître...

Interventions 2020 de Houellebecq 
où, paraît-il, « Jacques Prévert était un con » !
Je cite : « Jacques Prévert est quelqu’un dont on
apprend des poèmes à l’école »... Est-ce que qu-

elque style le gêne dans l’enseignement ?
La poésie n’est-elle réservée qu’aux grands
cons d’une époque dont Houellebecq est le nom ?

Tout est bon dans l’école, et la bonne parole
et d’y retourner apprendre la concision :
Le poète Prévert est appris à l’école


 

— II —

 SYNTHÈSE 


Houellebecq a écrit : Prévert était un con
Le poète Prévert est appris à l’école
Il aimait les oiseaux, les fleurs, les vieux symboles
Il était plutôt libre et j’ai plutôt raison

Moi, j’ai honte à y lire ses bourgeois cochons
ses jolies filles nues sorties des années folles
ses bambins immoraux nés des rues, nés des viols
ses curés négateurs, impeccables félons

La critique historique infirme ses clichés
L’intelligence aussi, qui manque aux débauchés
à tous ceux partisans de la Fraternité

Prévert en était un, c’était un libertaire
À sa littérature des facilités
on peut préférer Robespierre — ou Baudelaire

mardi 13 avril 2021

CHRONIQUE : Le Printemps des Peuples




Il y a de quoi s’étonner en lisant page 115 de Levez-vous du tombeau (2019, Éditions Gallimard) la conclusion de Jean-Pierre Siméon : « Les peuples meurent d’avoir perdu la poésie ».

Certes, telle n’est pas vraiment la conclusion, puisqu’il s’agit de l’avant-dernière page de l’ouvrage ; à la page suivante, qui est bien cette fois la dernière, il écrit et rend hommage à Aimé Césaire : « Nous sommes définitivement avec toi / Sous “la pluie des chenilles” / Du côté de l’espérance. »

Ainsi espère-t-il, je le suppose et je l’espère avec lui, en la résurrection des peuples. Et vraiment, je pense la chose possible, sans doute probable et peut-être prochaine, bien qu’il y ait fort à faire — car si j’en crois la Bible, en Palestine il y a pratiquement deux mille ans, un homme nommé Jésus est mort et ressuscité. Or ni son nom ni sa mémoire n’ont cessé de vivre depuis sur terre. Si ce fait est exact, et bien que certaines personnes le tiennent pour une légende, les peuples seraient donc également promis à un avenir mémorable et glorieux ? Dieu, dans son infinie bonté, a ressuscité un homme ; pourquoi refuserait-il de ressusciter les peuples ? 

mardi 21 août 2018

Poète, que veux-tu ?

Paul Celan (1920-1970) 




LE CLIENT : Dieu a fait le monde en six jours, et vous, vous n’êtes pas foutu de me faire un pantalon en six mois. LE TAILLEUR : Mais, Monsieur, regardez le monde, et regardez votre pantalon.

Le monde et le pantalon, 1945, Samuel Beckett


À quoi bon des poètes ? À quoi bon des maisons d’édition de poésie ? À quoi bon, si je ne peux jamais lire une nouveauté poétique qui rime à quelque chose ? Qui rime avec quelque chose ! S’il ne m’est jamais donné de lire ce que j’aimerais vivre écrit d’après un vivant ? Qui rime avec quelqu’un ! Laissons de côté la chanson populaire, il s’agit ici d’autre chose. Je viens de passer une petite heure à farfouiller dans les rayons de poésie d’une petite librairie, à la recherche de recueils de poètes contemporains. Jamais je n’ai pu découvrir, pas plus d’un quart d’instant, sans que la faute en soit aux libraires, la moindre harmonie, la moindre envie de musique, la moindre simplicité de dire, non pas celles des mots que nous pouvons tous avaler, mais celle du monde, non pas le monde, mais celui de tous ces poètes. La rime est un principe, l’affaire est entendue. Je ne peste pas contre le manque de principes, mais contre l’absence de tout principe poétique, qui ruine l’édition de poésie et la lecture avec.


Qu’il m’est pénible d’ânonner de l’esprit et de la voix, de trébucher sur tant de briques malfaisantes, sur tant de voix naturelles, sur tant de balbutiements abscons, sur des paysages dont l’aridité, la minéralogie, la virtualité, encombrent l’époque et occupent si peu le temps d’une lecture, que je me sens contraint et forcé de vitupérer, de philosopher. Si toutefois la diversité régnait véritablement ! Mais ce qui a pour nom diversité en poésie contemporaine n’est que la diversité du monde. La vie poétique, dans la plus simple expression de sa nécessité, de sa nudité, peut attendre encore longtemps. Dans les grimaces de ces aimables modérations de comptabilité de la langue du monde, on vous fait tantôt sentir que, vous, ce n’est pas assez naturel, tantôt pas assez travaillé ; tantôt c’est votre représentation qui est obsolète, tantôt c’est le sens qui vous fait défaut ; puis retournabilent farcir des pages par centaines dans leur technique bavoir de virtuquosité.


Côté édition, les choses sont pires. En musique, jamais les éditeurs et les amateurs de musiques sérielles n’ont empêché le moins du monde la pop et le rock de paraître, d’être diffusées et appréciées, ni la musique baroque de renaître. En poésie du monde, nulle âme ne semble vivre, qui survive au son du battement de la trique Métrique, nulle conscience qui, croirait-on, ne pulse ni ne s’arrime en vertu de la Rime. La rime, pour peu qu’elle rapproche les mots du poème de la vie du poète, est le principe le plus fiable en poésie, avec la métrique, que le vers soit libre ou non est d’importance secondaire. Se souvient-on parfois de la délicate parole de Mozart enfant ? « Je mets ensemble les notes qui s’aiment. » Que la vie poétique ne soit pas heureuse en amour, cela arrive. Que les mots d’amour ne viennent pas facilement au poète vivant, cela arrive aussi. Mais que plus jamais les mots et la vie poétiques ne riment, ne coïncident, ne servent ni la représentation, ni le sens, ni aucun poème, ce fait est un fait d’une incongruité indéfendable. Que d’aimables poètes préfèrent écrire des poèmes sériels au lieu de rimes, en raison de la méconnaissance que nous avons tous des fondements du langage, de la raison, du logos, autrement dit en raison d’un manque de religiosité, de foi rationnelle, ne me poserait pas le moindre petit problème si seulement je ne me sentais pas ainsi contraint sous le régime de la botte à ne lire que des grands morts et à proférer des imprécations contre d’illustres inconnus qui ont pour eux force, empire, et tyrans célèbres.


Tous les sanglots vivants du monde iront à l’Univers.


Après tout, j’ai choisi la rime et le vers. Eux les rejettent. Pourquoi ?


Après Auschwitz, Paul Celan a formulé un principe en poésie, celui de survivre : « Rester là, tenir, dans l’ombre / de la cicatrice en l’air. » (Choix de poèmes, p. 233). Après l’enfer des camps de la mort, avec la mémoire de l’anéantissement, Celan, imprégné de mystique juive, ne pouvait pas comprendre que Dieu eût permis le crime des crimes. À ce jour, je ne crois pas qu’il puisse exister un seul athée rationnel pour qui l’Holocauste n’entre pas en ligne de compte dans sa conviction d’être un athée. On vit avant ou après, mais il n’y a même plus ni avant ni après, l’événement submerge l’histoire et constitue la mémoire des mémoires. Personne au monde n’est ni ne sera rescapé de l’histoire nazie. « La mort est un maître venu d’Allemagne » (Fugue de mort, Paul Celan). Dans Psaume, il nomme Dieu de façon ambiguë et ambivalente, il l’appelle « Personne » : « Loué sois-tu, Personne. / Pour l’amour de toi nous voulons / fleurir. / Contre / toi. » Poète religieux, né en 1920, Paul Celan voulut survivre contre Dieu après Auschwitz. Il se donna la mort le 20 avril 1970. Il n’avait pas besoin de rimes pour poétiser. Dieu était sa voix et l’objet de sa colère. Nul poème n’a besoin de rimes pour être poésie. Mais à quoi rime une vie poétique de nos jours, si elle n’est pas plus dangereuse que le quotidien et l’atome, si la poésie n’est jamais écrite et publiée qu’en prose ? Mais où diable est-il encore question de Dieu dans la poésie ? Paul Celan serait-il, dans plusieurs consciences poétiques dérangées haut placées, le poète qui aurait tué Dieu et Personne, pour une postérité sans raison ni vérité ?


Je me sens absurde et dissipé, avec mes questions difficiles. Assez récemment, j’ai trouvé un recueil de sonnets de Didier Malherbe publié au Castor Astral : Escapade en facilie. Les subtiles et innombrables variations de la facilité y sont déclinées dans des sonnets qui touchent la cible parfois, mais qui pour certains souffrent de quelques maladresses de style. Les sens multiples que peut revêtir la facilité y sont brillamment illustrés, mais l’exercice de style a ses limites. Gonflé de cet artifice, le recueil ne m’a pas paru des plus véridiques, à moins que l’auteur n’ait rien voulu d’autre que montrer, non sans esprit, la palette vivifiante de ses facilités à lui. Un terme choisi sans bonheur car, à mon sens, l’auteur et son recueil ne peuvent manquer de se distinguer au milieu de la masse cacophonique de la poésie sérielle, en arborant l’étiquette facile. Je manque peut-être d’humour, mais l’orchestration pataude de l’édition poétique en France ne m’aide pas beaucoup. Il me semble que cette tentative de facilité ne soit même qu’une dissonance, qu’un pouet honorable parmi de violents efforts ; mais qui sait de quel prélude il sera le héraut ?


Si l’humour consistait à exclure de l’esprit éditorial les poètes différents, on relèverait immanquablement leur différence, avec ironie, lorsqu’ils s’incluent d’eux-mêmes. C’est pourquoi l’autoédition est une preuve d’ironie de la part d’un auteur, et la publication une forme d’esprit de la part d’un éditeur, et je m’étonne, à bon droit, de ne jamais recevoir la visite du grain de sel du monde hospitalier. Peut-être par ironie ?


L’humour errant comme poésie ou soleil disperse des rayons le souffle de rareté.