mardi 28 septembre 2021

ROMAN : Rêver debout, de Lydie Salvayre, L’AVENIR DE L’EXISTENTIALISME


Lydie Salvayre




Poème de la foi : la communication par la lecture.


Le principe de la lecture de Don Quichotte est simple et tient en un syllogisme :


Don Quichotte a une âme.

Or, l’âme existe.

Donc, don Quichotte existe.


Peu importe que ça soit faux, cela marche avec le roman.


Miguel de Cervantès a élevé l’écriture au rang de pure création littéraire. Il est le père de tout existentialisme littéraire. 


Lydie Salvayre l’a compris. 


Nul avant elle n’avait montré qui et où était l’incarnation du saint esprit depuis la venue de Jésus. Cervantès est le premier écrivain classique, honnête homme, depuis ceux qui ont écrit les quatre évangiles. Mais Cervantès le confesse habilement : il ne comprend plus sa créature. Elle prend rapidement son indépendance, vit et meurt, avant de régner à la gauche du saint esprit — jusqu’au roman de Lydie Salvayre. Il y eut, après Cervantès, des hommes droits qui furent écrivains gentilshommes. Deux, ou trois en réalité, jusqu’à la création de Lydie Salvayre. Après elles, d’autres viendront, femmes et hommes. Il existe beaucoup, beaucoup de mystères dans les livres. Tout lecteur de don Quichotte me comprendra. Toute lectrice me comprendra.


Lien vers la page de l’éditeur


lundi 27 septembre 2021

Pourquoi les fous

Nietzsche, Munch 



Pourquoi les fous sont-ils les vrais originaux ? 
Ceux qu’on appelle « fous » naissent deux ou trois fois
Le commun des mortels renaît aussi parfois
après un long tunnel, mais plus souvent là-haut

Les fous (entendez « fous tel qu’on aimerait l’être »)
Sont nés, comme beaucoup, à la maternité
Quand ils en ont assez, quand ils veulent renaître
ils vont à l’hôpital qu’ils louent à la nuitée 

Mais les fous vont plus loin ; lorsqu’ils rentrent chez eux
leur vie nouvelle est un miracle, ils sont au centre
Les fous, qui en ont vu assez, veulent renaître 

Après tout, c’est leur droit, « À soi-même son maître »
Tout le monde peut l’être, il suffit d’une idée 
ils vont à l’hôpital qu’ils louent à la nuitée 



mercredi 22 septembre 2021

CHRONIQUE : Le Platon des mirlitons

  

 

Si donc un homme en apparence capable, par son habileté, de prendre toutes les formes et de tout imiter, venait dans notre ville pour s'y produire, lui et ses poèmes, nous le saluerions bien bas comme un être sacré, étonnant, agréable ; mais nous lui dirions qu'il n'y a point d'homme comme lui dans notre cité et qu'il ne peut y en avoir ; puis nous l'enverrions dans une autre ville, après avoir versé de la myrrhe sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes. 

(Platon, République, Livre III, 398)





Poésie, où vas-tu ? Poète, que fais-tu ?

La critique la plus éparse et la plus crasse vous requiert.


Toute la profession était convoquée. Le procureur se présente, ébouriffé. Tout le monde embrasse son voisin. Le procureur, ému, déclare à l’assemblée :


Je suis l’humour, d’une charité prodigieuse, 

qui provoque le rire et les aveux de l’hypocrite.

Poète, il est mort le printemps !


J’entends ta langue poétique au devenir philosophique, elle est réglée comme du papier à musique, j’entends. J’entends qu’on dit aussi beaucoup de mal à ton sujet. J’entends grincer les arts désaccordés. Il y a parmi vous force salauds. Exemple : le salaud qui a pris le parti de la rime... C’est un mauvais parti de droite !


J’aperçois maintenant quelque part, dans le fond, sans audace, la nostalgie qui abat tant d’alexandrins, à faire soupirer d’ennui nos plus grands mètres...


Avancez à la barre, grand-mère, doucement...


Je n’y arriverai jamais !


Votre absence n’en sera que plus éloquente.

vendredi 10 septembre 2021

LECTURE : Jacques Prévert vu par Michel Houellebecq

Jacques Prévert, 1961, dans le film Mon frère Jacques, Pierre Prévert
 
(source Wikipedia ©Jacqueline Prévert) 
Creative Commons

Jacques Prévert 

d’après le texte de Michel Houellebecq :
Jacques Prévert est un con
,
Interventions, Flammarion, 2020


— I —
ANALYSE


Trop de grands cons ont pignon sur rue dans les Lettres
pour que je n’en fasse la lecture aux toilettes...
me disais-je, bien accroché à ma tablette
lisant, lorsqu’un nouvel effort fit reparaître...

Interventions 2020 de Houellebecq 
où, paraît-il, « Jacques Prévert était un con » !
Je cite : « Jacques Prévert est quelqu’un dont on
apprend des poèmes à l’école »... Est-ce que qu-

elque style le gêne dans l’enseignement ?
La poésie n’est-elle réservée qu’aux grands
cons d’une époque dont Houellebecq est le nom ?

Tout est bon dans l’école, et la bonne parole
et d’y retourner apprendre la concision :
Le poète Prévert est appris à l’école


 

— II —

 SYNTHÈSE 


Houellebecq a écrit : Prévert était un con
Le poète Prévert est appris à l’école
Il aimait les oiseaux, les fleurs, les vieux symboles
Il était plutôt libre et j’ai plutôt raison

Moi, j’ai honte à y lire ses bourgeois cochons
ses jolies filles nues sorties des années folles
ses bambins immoraux nés des rues, nés des viols
ses curés négateurs, impeccables félons

La critique historique infirme ses clichés
L’intelligence aussi, qui manque aux débauchés
à tous ceux partisans de la Fraternité

Prévert en était un, c’était un libertaire
À sa littérature des facilités
on peut préférer Robespierre — ou Baudelaire

jeudi 29 avril 2021

LECTURE : Quart livre des reconnaissances, de Jacques Réda, LE BON POÈTE

 



Quart livre des reconnaissances, Jacques Réda, Éditions Fata Morgana, 2021



Réjouis-toi, poésie ! 

Jacques Réda publie.


Le Quart livre des reconnaissances est l’un des rares livres, l’un des seuls, en 2021 et au-delà du temps, qui réveillent le lecteur de poésie égaré ou déçu par la production moderne. 


Le Poète, fidèle à sa Muse, a su marier la forme et le fond dès les premières pages, qui s’ouvrent sur les Fragments d’une épopée du mètre avec la suite Le Roland sérieux : 


I

Décasyllabe est le vers féodal 

Du preux qui tient ferme sa Durandal


Entièrement composé de vers de dix syllabes et traitant des origines de la langue littéraire française, ce poème fourmille d’intentions, de trouvailles et de rimes, d’allusions et d’évocations historiques qui en font, outre une parodie tardive de la chanson de geste, une lecture chantante, une coupe légère qui accueille en elle les siècles et les esprits, sans imposer leur poids. Le geste donc, est large, ouvert, bienveillant.


mercredi 28 avril 2021

CRITIQUE LITTÉRAIRE : Deux livres de Pierre Vinclair


Pierre Vinclair (Prise de vers, La rumeur libre éditions, 2019), 

(Sans adresse, Éditions Lurlure, 2018)



CRITIQUE :


Cela est fort vaste, 

me dis-je en moi-même…

This dice is the last

à moins d’un poème…


Pierre Vinclair, Prise de vers,

Sans adresse, et Le coup de dés


Il versa tant dans l’analyse 

que ses pieds étaient dans la mouise.

Que faire d’un texte illisible

censé bichonner l’impossible 

s’il n’est que la déduction 

du possible sans traduction ?


À ses parents, amis, marmaille

il fit des sonnets sans rimaille

longs de cent soixante-huit mètres 

qu’il coupa en dodécamètres 

ciseaux en main, en bon psalmiste 

ou comme en poète modiste.


Cent soixante-huit obélus 

quatorze font douze, pas plus.

Alors la rime est ajournée 

car trimer toute la journée 

sur sa pierre, comme un tailleur…

— Sa vérité était ailleurs !


Modestement, il fut formel :

Oui, le sonnet est éternel 

à condition de le former

de l’informe vers l’informé.


Ce sujet, qui fera l’objet

d’un prochain cours sur le rejet

et le contre-rejet sans rime

en fin de vers, est fort sublime.


Nous y aborderons l’ouvrage

du sonnet, qui, hors de la page

bondit dans la réalité 

et regagne l’éternité 

avec sa complice, la prose.


En attendant l’apothéose 

reprenons nos méditations

et rangeons nos tabulations.


… Pourvu que demain 

je leur fasse un cours

Sur un écrivain

dont j’ai fait le tour…

 

mardi 13 avril 2021

CHRONIQUE : Le Printemps des Peuples




Il y a de quoi s’étonner en lisant page 115 de Levez-vous du tombeau (2019, Éditions Gallimard) la conclusion de Jean-Pierre Siméon : « Les peuples meurent d’avoir perdu la poésie ».

Certes, telle n’est pas vraiment la conclusion, puisqu’il s’agit de l’avant-dernière page de l’ouvrage ; à la page suivante, qui est bien cette fois la dernière, il écrit et rend hommage à Aimé Césaire : « Nous sommes définitivement avec toi / Sous “la pluie des chenilles” / Du côté de l’espérance. »

Ainsi espère-t-il, je le suppose et je l’espère avec lui, en la résurrection des peuples. Et vraiment, je pense la chose possible, sans doute probable et peut-être prochaine, bien qu’il y ait fort à faire — car si j’en crois la Bible, en Palestine il y a pratiquement deux mille ans, un homme nommé Jésus est mort et ressuscité. Or ni son nom ni sa mémoire n’ont cessé de vivre depuis sur terre. Si ce fait est exact, et bien que certaines personnes le tiennent pour une légende, les peuples seraient donc également promis à un avenir mémorable et glorieux ? Dieu, dans son infinie bonté, a ressuscité un homme ; pourquoi refuserait-il de ressusciter les peuples ? 

dimanche 7 février 2021

CRITIQUE : L’étiquette Poésie

Impression, soleil levant, Claude Monet, 1873


Le fait est éreintant. Ils voient, mais ne distinguent pas. Ils voient, mais ne regardent pas. Ils se montrent incapables de faire place à l’avenir, à ceux qui sont bienvenus. Ils dégoûtent même de lire, ils dégoûtent de l’art qui les nourrit, qui les élève, qui les honore. Leur plus récente invention, après celle, historique, de la « mort de Dieu », en est la déclinaison sur le mode poétique : la fin et le dépassement du vers régulier.

Cette invention de pervers bavards et universitaires ne découle pas de la « mort de Dieu » tout sainement, tout naturellement, comme si, à la désolation universelle, succédait logiquement l’abandon de l’harmonie et du rythme : la foi eût déserté tout être, dont la poésie. Mais loin de la logique (qui évoquerait encore trop subtilement l’existence d’un « Principe »), l’idée proprement satanique, en dénigrant la pratique du vers régulier, c’est dire et faire : « Dieu est mort... ça n’aura pas suffi ! Inoculons le poison de l’anarchie dans le vers, espérons que ça nous suffira à gérer les fonds. » Ainsi le vers, devenu véreux par l’opération de discrédit jetée sur le vers régulier, repasse-t-il par les mêmes véreux qui passent pour être les poètes de leur temps. Sollers, par exemple, dans son prochain roman (à paraître chez Gallimard en 2021) reprend lui aussi, comme tout le monde, la litanie « Dieu est mort » : tel est le fonds de commerce permanent de la littérature contemporaine. Il est commode de faire « genre Dieu est mort », cela vous donne un genre « nouveaux poètes ». 

Cette ixième itération d’un préjugé littéraire, qui a décimé assez de forêts pour rendre l’atmosphère irrespirable, a remarquablement fini par révéler son fond. Une telle confusion, un tel acharnement de poètes contre la régularité de l’être, contre le sens de la vie, ne peut que déclencher le soupçon, un appel du pied au réalisme. Dans quelles misérables intrigues la poétique ne nous aura-t-elle pas plongés, tant et tant qu’on peut se douter qu’elle aussi manigance un roman. 

Rien ne peut m’empêcher de mettre en doute le soi-disant pouvoir de la nouvelle poésie à évoquer la totalité de ce qui fait sens et qui est doué d’être.

Je ne suis pas formel, je suis réaliste. L’harmonie, le vers régulier, ne représentent pas, ne doivent pas former une représentation de l’existence de « Dieu-du-temps-où-on-y-croyait » ; et le vers libre ne représente pas formellement la « liberté », sous peine de représenter un art monumental de très mauvais goût.

Si le goût se forme par cristallisation, il se fige par uniformisation du style, et se perd dans la désagrégation des voix mal contenues, trop faibles et sans personnalité. Si rien ne vient contredire le goût dominant dans l’opinion poétique, il se gâte. La diversité permet que, la différence aperçue, elle enrichisse le regard et apprenne à vivre avec et autrement. Si on ne voit pas quelques unités de poèmes en vers réguliers se faire massacrer par des cohortes de vers libres, ce n’est pas parce que ça n’existe pas, mais parce que les éditions Couillebrand ont tout fait pour ne pas en publier. 

Incipit : Après le matraquage de la campagne promotionnelle « Dieu est mort », les éditions Couillebrand voulurent rentabiliser le fonds immense et millénaire de la poésie française. Les éditeurs censurèrent tous les nouveaux poèmes pour leur substituer une prose qui n’avait, sous bien des aspects, de « poésie » que l’étiquette. Couillebrand instaura l’usurpation de tous les titres poétiques en vigueur sous la bannière cauchemardesque de l’épouvantail « Rimbaud », le plus halluciné de tous les non-poètes (il eut au moins deux vies, dont l’une exprimait le refus de l’autre). Plus d’un siècle après lui, une pesante discrimination culturelle, antipoétique, domine les lettres françaises. L’imposture prospère sur le fumier de la « tradition » qu’entretiennent des versificateurs nostalgiques, dont les poèmes ne reposent sur nul autre vécu que la mémoire de leurs lectures des auteurs du passé. 

Il y a bien des contorsionnistes de la critique et du commentaire poétique pour signaler, par de grandes gestes anthologiques, que les rythmes et les sons, le « swing » et la voix, font de la poésie la sœur de la musique. Mais ces bons poéticiens, soit servent au système Couillebrand à enterrer les déchets poétiques du siècle, en stylisant leurs critiques jusqu’au dégoût d’y trouver rien de positif (tel était le cas de Henri Meschonnic), soit ne prennent part à la discussion que par vanité de créateur, en laissant entendre à demi-voix qu’au fond, après eux, selon toute probabilité, plus personne n’ira ressusciter le vieil alexandrin épuisé. Jacques Réda en est l’exemple, lui que Couillebrand n’a pas assez promu en livre de poche, pas récemment à ma connaissance, pour que la poésie musagète et son enjeu cosmique viennent déflorer les oreilles et dessiller les yeux d’un plus grand nombre d’épuisés, eux aussi, par la raréfaction éreintante du vers régulier. Ou comme un autre Jacques, du nom de Roubaud celui-là, qui a écrit le très remarquable La vieillesse d’Alexandre, sur fond de pessimisme rusé, en fréquentant malgré tout l’alexandrin et le sonnet, entre autres formes poétiques. De tels soleils ne mériteraient-ils pas un peu la fraîcheur des rayons de librairies ?

Pour finir, un mot d’amour : il est beau, mais un peu triste, que les poètes soient presque toujours des grands-pères, vénérables et bien-portants, mais dont l’exposition médiatique à un grand âge rend suspecte la volonté des éditions Couillebrand, qui pourraient bien, une fois de plus, faire accroire ainsi que la poésie est certes un belle et aimable vieille chose, qui porte en elle un fonds ancestral et mémoriel, que l’on doit respecter comme Couillebrand respecte mon porte-monnaie, mais qui a déjà vu passer le plus clair de ses jours, et qu’on ne devrait pas perturber plus longtemps avant qu’elle nous fasse un dernier et fragile salut du pied, en guise d’adieu poétique. À cet égard, la disparition d’Yves Bonnefoy, surmédiatisée par son versant poétique, a laissé l’impression d’un grand vide, d’un sombre cercle inversé, l’impression que c’était la poésie elle-même qu’on enterrait finalement. Là, Couillebrand avait trouvé une complice de choix dans la parole médiatique, dans la grande fossoyeuse d’actualités qui, rappelons-le, est à la poésie ce que l’eau est au feu. La poésie ne sert jamais si bien la presse qu’en la faisant bouillir.