mercredi 28 avril 2021

CRITIQUE LITTÉRAIRE : Deux livres de Pierre Vinclair


Pierre Vinclair (Prise de vers, La rumeur libre éditions, 2019), 

(Sans adresse, Éditions Lurlure, 2018)



CRITIQUE :


Cela est fort vaste, 

me dis-je en moi-même…

This dice is the last

à moins d’un poème…


Pierre Vinclair, Prise de vers,

Sans adresse, et Le coup de dés


Il versa tant dans l’analyse 

que ses pieds étaient dans la mouise.

Que faire d’un texte illisible

censé bichonner l’impossible 

s’il n’est que la déduction 

du possible sans traduction ?


À ses parents, amis, marmaille

il fit des sonnets sans rimaille

longs de cent soixante-huit mètres 

qu’il coupa en dodécamètres 

ciseaux en main, en bon psalmiste 

ou comme en poète modiste.


Cent soixante-huit obélus 

quatorze font douze, pas plus.

Alors la rime est ajournée 

car trimer toute la journée 

sur sa pierre, comme un tailleur…

— Sa vérité était ailleurs !


Modestement, il fut formel :

Oui, le sonnet est éternel 

à condition de le former

de l’informe vers l’informé.


Ce sujet, qui fera l’objet

d’un prochain cours sur le rejet

et le contre-rejet sans rime

en fin de vers, est fort sublime.


Nous y aborderons l’ouvrage

du sonnet, qui, hors de la page

bondit dans la réalité 

et regagne l’éternité 

avec sa complice, la prose.


En attendant l’apothéose 

reprenons nos méditations

et rangeons nos tabulations.


… Pourvu que demain 

je leur fasse un cours

Sur un écrivain

dont j’ai fait le tour…

 

mardi 13 avril 2021

CHRONIQUE : Le Printemps des Peuples




Il y a de quoi s’étonner en lisant page 115 de Levez-vous du tombeau (2019, Éditions Gallimard) la conclusion de Jean-Pierre Siméon : « Les peuples meurent d’avoir perdu la poésie ».

Certes, telle n’est pas vraiment la conclusion, puisqu’il s’agit de l’avant-dernière page de l’ouvrage ; à la page suivante, qui est bien cette fois la dernière, il écrit et rend hommage à Aimé Césaire : « Nous sommes définitivement avec toi / Sous “la pluie des chenilles” / Du côté de l’espérance. »

Ainsi espère-t-il, je le suppose et je l’espère avec lui, en la résurrection des peuples. Et vraiment, je pense la chose possible, sans doute probable et peut-être prochaine, bien qu’il y ait fort à faire — car si j’en crois la Bible, en Palestine il y a pratiquement deux mille ans, un homme nommé Jésus est mort et ressuscité. Or ni son nom ni sa mémoire n’ont cessé de vivre depuis sur terre. Si ce fait est exact, et bien que certaines personnes le tiennent pour une légende, les peuples seraient donc également promis à un avenir mémorable et glorieux ? Dieu, dans son infinie bonté, a ressuscité un homme ; pourquoi refuserait-il de ressusciter les peuples ? 

dimanche 7 février 2021

CRITIQUE : L’étiquette Poésie

Impression, soleil levant, Claude Monet, 1873


Le fait est éreintant. Ils voient, mais ne distinguent pas. Ils voient, mais ne regardent pas. Ils se montrent incapables de faire place à l’avenir, à ceux qui sont bienvenus. Ils dégoûtent même de lire, ils dégoûtent de l’art qui les nourrit, qui les élève, qui les honore. Leur plus récente invention, après celle, historique, de la « mort de Dieu », en est la déclinaison sur le mode poétique : la fin et le dépassement du vers régulier.

Cette invention de pervers bavards et universitaires ne découle pas de la « mort de Dieu » tout sainement, tout naturellement, comme si, à la désolation universelle, succédait logiquement l’abandon de l’harmonie et du rythme : la foi eût déserté tout être, dont la poésie. Mais loin de la logique (qui évoquerait encore trop subtilement l’existence d’un « Principe »), l’idée proprement satanique, en dénigrant la pratique du vers régulier, c’est dire et faire : « Dieu est mort... ça n’aura pas suffi ! Inoculons le poison de l’anarchie dans le vers, espérons que ça nous suffira à gérer les fonds. » Ainsi le vers, devenu véreux par l’opération de discrédit jetée sur le vers régulier, repasse-t-il par les mêmes véreux qui passent pour être les poètes de leur temps. Sollers, par exemple, dans son prochain roman (à paraître chez Gallimard en 2021) reprend lui aussi, comme tout le monde, la litanie « Dieu est mort » : tel est le fonds de commerce permanent de la littérature contemporaine. Il est commode de faire « genre Dieu est mort », cela vous donne un genre « nouveaux poètes ». 

Cette ixième itération d’un préjugé littéraire, qui a décimé assez de forêts pour rendre l’atmosphère irrespirable, a remarquablement fini par révéler son fond. Une telle confusion, un tel acharnement de poètes contre la régularité de l’être, contre le sens de la vie, ne peut que déclencher le soupçon, un appel du pied au réalisme. Dans quelles misérables intrigues la poétique ne nous aura-t-elle pas plongés, tant et tant qu’on peut se douter qu’elle aussi manigance un roman. 

Rien ne peut m’empêcher de mettre en doute le soi-disant pouvoir de la nouvelle poésie à évoquer la totalité de ce qui fait sens et qui est doué d’être.

Je ne suis pas formel, je suis réaliste. L’harmonie, le vers régulier, ne représentent pas, ne doivent pas former une représentation de l’existence de « Dieu-du-temps-où-on-y-croyait » ; et le vers libre ne représente pas formellement la « liberté », sous peine de représenter un art monumental de très mauvais goût.

Si le goût se forme par cristallisation, il se fige par uniformisation du style, et se perd dans la désagrégation des voix mal contenues, trop faibles et sans personnalité. Si rien ne vient contredire le goût dominant dans l’opinion poétique, il se gâte. La diversité permet que, la différence aperçue, elle enrichisse le regard et apprenne à vivre avec et autrement. Si on ne voit pas quelques unités de poèmes en vers réguliers se faire massacrer par des cohortes de vers libres, ce n’est pas parce que ça n’existe pas, mais parce que les éditions Couillebrand ont tout fait pour ne pas en publier. 

Incipit : Après le matraquage de la campagne promotionnelle « Dieu est mort », les éditions Couillebrand voulurent rentabiliser le fonds immense et millénaire de la poésie française. Les éditeurs censurèrent tous les nouveaux poèmes pour leur substituer une prose qui n’avait, sous bien des aspects, de « poésie » que l’étiquette. Couillebrand instaura l’usurpation de tous les titres poétiques en vigueur sous la bannière cauchemardesque de l’épouvantail « Rimbaud », le plus halluciné de tous les non-poètes (il eut au moins deux vies, dont l’une exprimait le refus de l’autre). Plus d’un siècle après lui, une pesante discrimination culturelle, antipoétique, domine les lettres françaises. L’imposture prospère sur le fumier de la « tradition » qu’entretiennent des versificateurs nostalgiques, dont les poèmes ne reposent sur nul autre vécu que la mémoire de leurs lectures des auteurs du passé. 

Il y a bien des contorsionnistes de la critique et du commentaire poétique pour signaler, par de grandes gestes anthologiques, que les rythmes et les sons, le « swing » et la voix, font de la poésie la sœur de la musique. Mais ces bons poéticiens, soit servent au système Couillebrand à enterrer les déchets poétiques du siècle, en stylisant leurs critiques jusqu’au dégoût d’y trouver rien de positif (tel était le cas de Henri Meschonnic), soit ne prennent part à la discussion que par vanité de créateur, en laissant entendre à demi-voix qu’au fond, après eux, selon toute probabilité, plus personne n’ira ressusciter le vieil alexandrin épuisé. Jacques Réda en est l’exemple, lui que Couillebrand n’a pas assez promu en livre de poche, pas récemment à ma connaissance, pour que la poésie musagète et son enjeu cosmique viennent déflorer les oreilles et dessiller les yeux d’un plus grand nombre d’épuisés, eux aussi, par la raréfaction éreintante du vers régulier. Ou comme un autre Jacques, du nom de Roubaud celui-là, qui a écrit le très remarquable La vieillesse d’Alexandre, sur fond de pessimisme rusé, en fréquentant malgré tout l’alexandrin et le sonnet, entre autres formes poétiques. De tels soleils ne mériteraient-ils pas un peu la fraîcheur des rayons de librairies ?

Pour finir, un mot d’amour : il est beau, mais un peu triste, que les poètes soient presque toujours des grands-pères, vénérables et bien-portants, mais dont l’exposition médiatique à un grand âge rend suspecte la volonté des éditions Couillebrand, qui pourraient bien, une fois de plus, faire accroire ainsi que la poésie est certes un belle et aimable vieille chose, qui porte en elle un fonds ancestral et mémoriel, que l’on doit respecter comme Couillebrand respecte mon porte-monnaie, mais qui a déjà vu passer le plus clair de ses jours, et qu’on ne devrait pas perturber plus longtemps avant qu’elle nous fasse un dernier et fragile salut du pied, en guise d’adieu poétique. À cet égard, la disparition d’Yves Bonnefoy, surmédiatisée par son versant poétique, a laissé l’impression d’un grand vide, d’un sombre cercle inversé, l’impression que c’était la poésie elle-même qu’on enterrait finalement. Là, Couillebrand avait trouvé une complice de choix dans la parole médiatique, dans la grande fossoyeuse d’actualités qui, rappelons-le, est à la poésie ce que l’eau est au feu. La poésie ne sert jamais si bien la presse qu’en la faisant bouillir.

CRITIQUE : « Que reste-t-il de la poésie ? », livre de Dana Gioia


Dana Gioia : Que reste-t-il de la poésie ? 

traduit de l’anglais par Renaud Toulemonde, Éditions Allia, 2021.

Ce court essai de l’écrivain et poète américain Dana Gioia, premièrement publié en langue anglaise en 1991, vient de paraître chez Allia en France et c’est une bonne idée.

L’intérêt premier de ce livre, c’est d’exposer la situation de la poésie en Amérique en des termes facilement transposables en France à notre époque. D’ailleurs, ignorant tout moi-même de l’état sociologique de la poésie américaine, je le reçois et le traite pour ce qu’il peut me dire non pas des États-Unis en particulier, mais de la poésie en général. Je suppose que cette lecture choquera quelques-uns, mais elle justifie en partie l’initiative éditoriale d’Allia en 2021 en France, où la place minuscule de la poésie dans la culture ne devrait pas permettre qu’on s’effarouche qu’un blogueur tel que moi prenne la substance d’un livre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une vivification de l’esprit susceptible de profiter à tout le monde.

Sous la forme badine d’un debriefing dont les Américains ont le secret, l’auteur dénonce la spécialisation de la poésie, désormais affiliée aux cours universitaires de création littéraire. Donnés par des poètes institutionnalisés, pour un public toujours plus confidentiels de poètes et de moins en moins lus par le grand public, la poésie, selon l’auteur, se rumine dans l’entre-soi. « La poésie américaine est désormais l’apanage d’une coterie. » (Incipit, p. 7) Les revues n’intéressent plus que des poètes, eux-mêmes auteurs et lecteurs de poèmes, à peine le public cultivé. La professionnalisation des poètes fait de la poésie l’intérêt d’une petite communauté qui n’hésite plus à honorer les siens, parfois au détriment de la qualité intrinsèque des publications. Ainsi, la critique sincère n’étant guère plus produite, mais systématiquement bienveillante, on entortille la poésie dans le sirop de la connivence. La culture populaire tient la poésie pour morte, puisque dévitalisée, coupée de ses racines existentielles. 

Sans doute l’essor d’Internet a permis, depuis la publication de ce texte, de transmettre potentiellement la poésie à un plus grand nombres de lecteurs.

Il manque sans doute aussi à cet essai des développements qui atténueraient son tour un brin caricatural, car s’il vise juste et touche souvent sa cible, ce tour d’horizon laconique, flegmatique, laisse un champ dévasté par le pessimisme de la concision, un pessimisme trompeur dans la mesure où tout semble normal si l’on n’y prend garde, tant l’aperçu semble impeccable. La synthèse critique a quelque chose de lénifiant malgré son coup pamphlétaire, qui semble nous dire : « Dormez braves gens, c’est la poésie qui passe... au prochain tour elle meurt ! » 

L’auteur, qui avec beaucoup de sang-froid prétend dominer son sujet, verse dans une analyse qui pèche par une vision trop verticale du pouvoir et du cercle des poètes universitaires et institués, tandis qu’une enquête plus étendue, un road-trip moins confiné qui explorerait les grands espaces poétiques et profonds de sa terre d’Amérique, l’aurait sans doute mené à trouver, du moins à chercher la poésie ailleurs que dans les seuls lieux qui l’estampillent. Ce défaut confère à sa critique un air aseptisé qu’il est le premier à dénoncer dans le monde universitaire. Mais sa brièveté ne passe pas à côté de l’essentiel. Dana Gioia est également conscient du rôle que doit jouer la poésie du langage et ceux qui la font : donner, au-delà des classes et des assignations, un sens à nos existences. Conscient de l’importance du langage dans la culture, il se prononce contre l’élitisme et le repli sur soi, en faveur d’une poésie qui se communique et se transmet.

L’essai se finit sur des propositions selon lui à même de sauver la cause de la poésie, en la faisant battre dans tous les cœurs et dans tous les esprits. Il prône donc la lecture publique, par les poètes, d’autres poètes qui leurs soient inconnus ; le décloisonnement des arts, en invitant notamment la musique à participer aux événements poétiques ; des critiques et articles aussi sincères que possibles, sous la plume des poètes, dans de multiples publications non spécialisées ; un appel à exclure de toute anthologie poétique les intérêts partisans ; et enfin, une proposition qui, contrairement à toutes les autres, va à rebours du sens communément admis par nos spécialistes français de poésie (qui depuis l’avénement du web ont largement mis à profit les autres propositions, le plus souvent en reproduisant les mêmes travers incriminés) : que prévale, en classe, la récitation sur l’analyse, en partant du principe que « les poèmes sont faits pour être lus, appris et récités » (p. 56). Cette proposition, qui a le don de me plaire, épouvantera peut-être des poètes et poéticiens français encore en vie, qui se sont époumonés à refuser à la poésie la chance qu’on la récite. Mais Dana Gioia va encore plus loin, puisqu’il ose ce qui relève du blasphème, même ici, en affirmant que le « plaisir des mots » participe de la poésie, et même, au sujet de l’oralité : « Il se pourrait qu’elle détienne aussi les clés de l’avenir de la poésie », conclut-il. Il y a donc des raisons d’espérer.

Y’a-t-il un remède au mal ? Doit-on sonner l’alarme en faisant, pourquoi pas, résonner ce qui reste de poésie, là où nul ne l’attend, ni ne l’entend plus ?

À la question Que reste-t-il de la poésie ? (Can poetry matter ?, que j’aurais personnellement traduit par : Qu’importe la poésie ?), on pourrait répondre par une autre question : que faire de la poésie ? sinon des poèmes.... Ou encore : que faire à la poésie ? sinon une place...

mardi 20 octobre 2020

LECTURE : Histoires de Schtroumpfs

En 52 saynètes, les Schtroumpfs laissent découvrir au lecteur schtroumpfé par tant de drôlerie leur monde sympathique et inactuel. Pour une planche de Peyo je donnerais toutes les bandes dessinées, avec tout le respect que je leur dois. Un petit apprenti-schtroumpfeur passera des heures à deviner la langue des « misérables nabots bleus », comme disait d’eux l’horrible Gargamel. Le schtroumpfeur confirmé traduira la langue schtroumpf dans la sienne où il peut faire des progrès considérables, schtroumpfement recommandés partout où il schtroumpfera le change en devant se montrer éloquent. Les grands Schtroumpfs veilleront à user de diplomatie envers les petits liseurs lors de leur sevrage de la littérature schtroumpfesque, en raison de l’assuétude entraînée par le commerce avec l’univers Schtroumpf, qui est constitué d’incompatibilités schtroumpfestes avec notre code social.

Chaque planche est ornée d’un proverbe schtroumpf qui initiera l’enfant à la saynète lue, ainsi qu’à la pensée proverbiale humaine et au langage idiomatique.

Lien vers la page du site de l’éditeur :

Histoires de Schtroumpfs, 8ème série (dès trois schtroumpfs), par Peyo. 1976. Dupuis.


dimanche 30 août 2020

Quatre vérités




Dieu respire les athées. Voici le mystère : Dieu expire les athées, d’où leur confusion sceptique, puis il les inspire, mais ces incorrigibles méchants ne le disent pas, ils ne le savent même pas. Ils sont le souffle cosmique qui insuffle à Dieu le culot de créer encore. Oui, les athées sont l’air que Dieu respire, et personne ne le sait.

Dieu boit les croyants. Pas jusqu’à la lie. La lie des croyants, c’est leurs croyances, mais Dieu n’en veut pas, il ne boit que la foi. Les croyants désaltèrent Dieu, leur fraîcheur lui est agréable. Dieu est plus créatif lorsqu’il a bu, ses capacités sont maximales et il ne déçoit jamais lorsque il a bien bu. Les croyants sont l’eau que Dieu boit, les plus mystiques sont même le vin qu’il débouche pour les grandes occasions. 

Dieu ne mange pratiquement jamais, comme les ascètes et certains fakirs. La seule fois où il a pris un repas, c’était avant de créer le monde, il a tout rendu et c’est ce qui a créé le monde. C’est pour cela qu’en respirant et en buvant, Dieu se suffit et suffit au monde, qu’il continue de créer. C’est pour cela aussi que ce n’est jamais pareil, tout en gardant un air de déjà-vu. 

Dieu rêve des animaux et des plantes, lorsqu’il dort. Les animaux et les végétaux sont le repos de Dieu. Les animaux le laissent tranquille au moins, ils font leur vie sans le déranger. Il trouve le calme dans la nature, qu’il a d’abord créée pour eux, et il attend de nous que nous respections leur silence et leur propriété. Les humains sont un souci permanent pour Dieu, il aimerait bien que ce soit réciproque, alors parfois il boit un grand coup et il soupire en s’endormant.


jeudi 25 juin 2020

Un temps pour la grandeur

La Liberté éclairant le monde
New York




Il se pourrait que tout le drame de nos sociétés tienne en une erreur, et même en une phrase : nous voulons devenir plus forts trop tôt, avant de nous élever. Or, c’est le contraire qui serait bon. S’élever, puis seulement devenir plus forts, en vieillissant, comme les arbres. 

Une autre erreur, parente de la première, voudrait que nulle grandeur, nulle idée de hiérarchie, donc nulle élévation, ne soient permises. Mais là encore, il se pourrait bien que le but de l’éducation, la grandeur — puisqu’il ne s’agit pas de jouer des coudes ni d’assécher son voisin et de dicter sa loi aux autres —, soit d’amener les êtres à s’élever selon l’esprit, avec intelligence, à gravir l’échelle des valeurs. 

Tel l’arbre qui admire le ciel, le soleil, les étoiles ou les nuages, sans jamais ployer, accueillant dans ses branchages oiseaux, insectes, fleurs, et même poussières ; leur offrant un abri, un nid, un repas, la lumière, un promontoire où chanter ; ne devrions-nous pas aussi songer à notre élévation avant de prouver notre force ? 

samedi 18 janvier 2020

PAROLES : N°4 « Autodélivrance »


Léo Ferré (1916-1993)


Lorsqu’en passant au rayon poésie :

— Regardez mon sac... vous voyez ?... j’ai rien volé... j’ai rien volé...
...
— Ah oui... effectivement !

Automne 2019, 
librairie Dialogues.

samedi 26 octobre 2019

PAROLES : N°3 « MDR »

Marcel Proust
(1871-1922)


— David, vous êtes un Allemand.
— Pourquoi alors ?
— Le masque, le masque !

             2016, CATTP.

jeudi 19 septembre 2019

mercredi 18 septembre 2019

PAROLES : série francophone. N°1 « Peinard »

Friedrich Nietzsche (1844-1900)



 
                 “J’ai jamais été en prison.
                          Et je suis jumeau ! ”

                                          Avril 2006, Bohars. 

Éperons de la critique : notule poétique

Arthur Rimbaud, 1872 
© Étienne Carjat - Wikipedia


Autour de la poésie : la gnose-la-prose-la-glose. La critique et la poétique, la métacritique et la métapoétique, les commentaires, se rendent pratiquement incritiquables, puisqu’ils prétendent englober le tout dans le phénomène « poésie », le subsumer en lui-même, en logoïsant le monde. Chacun, devant ce discours, n’a qu’à se taire, ou lui emboîter le pas, avec pour résultat qu’aux grandes approximations on ajoute de l’imprécision, au grand flou son vague témoignage. Le commentaire assèche, la critique décrépit, et, à rebours, la gnose-la-prose-la-glose révèlent leur propre aridité. La première victime en est la poésie : elle est surplombée, de toutes parts, par de grands esprits, de grands lecteurs, de grands critiques et de grandes injonctions. C’est l’ère du méta-individualisme où règnent les principes, les classes à l’infini. La vie est autre chose... du court, du dense, du beau, du fou. En mettant le doigt sur le « je », la distinction apparaît, d’où la permanence du vers et de la rime.



L’IMITATION D’RIMBAUD


J’en écrirai encor, des vers !
Comme Verlaine et Baudelaire...
J’en ferai encor, des affaires !
Comme Arthur Rimbaud en enfer...

et quelques fabuleux blasphèmes

de ceux qui vouent à l’anathème
celui qui en fait des poèmes
prélude à de nouveaux problèmes...

La jeunesse (brave jeunesse)

dévorante, feignante, ogresse, 
agglutinait les sons (ô graisses)
déjà bien avant que je naisse

et se mentait sur tout (je mens…)

ce qui a pour nom « sentiment »
sans égratigner le tourment
que j’opère... Adieu charlatans !

J’aurais mieux fait de m’engager

dans le commerce et bien manger
au lieu de « métalangager »
pour devoir mes talents gâcher !

Qu’attend le monde d’un poème 

sinon qu’il soit d’amour bâti 
avec des mots pour le porter
sous le soleil vers l’éternel ?

Je m’en vais même si je t’aime

C’est décidé je suis parti
Non n’essaie pas de me chercher !
Je suis au-delà du Sahel...

mardi 14 mai 2019

Un temps pour tout

La tour — Tarot




Il y a, à l’œuvre dans la société, une horizontalisation des valeurs – propre à l’anarchisme –, qui montre – et qui entend bien montrer – que ses partisans se placent « à la base » d’une refondation des valeurs individuelles. « On est à la base ! » Ce cri de ralliement militant trahit non un désir de s’élever, mais de s’étendre. Pour penser et pour croire se situer à la base, aux fondements d’une société, il faut cultiver la défiance envers tous ceux qui, de générations en générations, de refondations en défaites, de ruptures en transmissions, ont cru, à bon droit, contribuer à renforcer ses fondations. La base, pour édifier, doit être solide. Si « l’ascenseur social est en panne », comme le veut l’antienne journalistique, il s’agit toutefois dans la société de quelque chose d’autre qu’un ascenseur qui élève : le soin de transmettre en vue d’édifier, le souci de pérenniser des valeurs bonnes, qui favorisent les initiatives et la conservation de l’espèce humaine, qui l’élèvent et qui la renforcent, qui la protègent, en lesquelles elle aime la vie. 

Mais une génération se dresse et proclame : « Nous sommes la base ! » Qu’elle vérifie premièrement que les bases n’ont pas déjà été posées et qu’elles sont encore solides. Parfois, un soutien, une unité de renfort est nécessaire pour consolider une base qui montre quelque signe de faiblesse. Ce n’est là qu’un modeste sacrifice en comparaison des efforts auxquels auront dû consentir des générations pour construire patiemment les bases, les fondations, ce qui fait tenir debout l’édifice. Refonder la base, au contraire, demanderait, avec un aplomb inouï, soit d’aménager un autre emplacement pour construire ailleurs, soit de détruire ou déconstruire l’édifice. Poser de nouvelles bases sur des bases anciennes et encore viables, c’est risquer de faire vaciller les fondations, la structure, l’ensemble, car on ne pose pas des bases sur des bases, des fondations sur des fondations. L’édifice exige de ses ouvriers aussi patients que géniaux la conservation, l’étude et l’élévation.

Mais l’édifice, au fil des siècles de sa construction, a atteint une dimension et une taille prodigieuses. Ses fondations, extrêmement larges et solides, sa hauteur, vertigineuse, font la fierté des individus qui le composent. Non sans vivoter sur les bases anciennes, ils sont grisés par la mémoire de leurs ancêtres, dont ils ressentent le légitime orgueil, et par l’avenir encore prometteur, dont ils pressentent la venue. Il faut le reconnaître, la difficulté, pour eux, ne consiste pas tant à aplanir le terrain, qu’à contempler, sans défaillir, l’horizon majestueux qui s’étend devant eux. L’horizontalité les saisit. La vision qu’il leur reste à inventer n’est pourtant plus si large, plate, géométrique, que haute, profonde, échelonnée, afin de mesurer la difficile beauté de l’édifice. L’heure n’est plus au compas, mais au sextant. Après tout, la grandeur participe de toutes les dimensions. 

La verticalité de l’esprit exprime un désir d’élévation qui succède à l’horizontalité de la volonté, cette volonté déjà ancienne qui a rendu possible la construction de l’édifice. L’horizontalité, qui perdure dans le regard de tous, est l’extériorisation de la volonté commune et mémorable, qui, pour se perpétuer, a l’obligation de se convertir aux profondeurs de la vision, de la création, de l’esprit. À l’heure actuelle, cette profondeur est encore malaisée, mal représentée et difficile à percevoir. Sur nos écrans, il arrive même qu’elle passe ou se fasse passer pour une extravagance folle ou dangereuse, parfois les deux. La restitution de la profondeur impose, à la base de l’éducation, la confiscation ou la mise à distance des écrans, et l’instauration du « temps d’écran » pour tous les autres. Il y a un temps pour tout.

mercredi 23 janvier 2019

Où intervient la poésie ?




Le degré moyen de la parole

Toute poésie a hérité d’un certain degré de style qu’elle maintient ensuite sur l’échelle de la parole, prête à en faire don comme d’une proie soumise au regard de ses lecteurs, y compris les plus pressés. Celle que je souhaite communiquer un jour aux lecteurs a été écrite dans le style « moyen », comme les océans abritent des poissons à des profondeurs moyennes, comme on peuple des villes de tailles moyennes, comme la plupart de nos véhicules sont faits pour couvrir des distances dites moyennes. Autrement dit, en voulant nommer une poésie « superficielle », on n’entendrait pas systématiquement sonner un reproche envers son éventuel défaut de consistance, mais aussi bien la formule générique pour nommer une poésie de la surface, de l’épiderme et du premier plan. On ne vanterait pas non plus, a priori, les mérites d’une poésie pour sa « profondeur » au seul prétexte qu’elle serait difficile, exigeante, recherchée, quand cela n’en dit pas moins l’enfouissement et la distance à parcourir afin de l’appréhender. Mais je voudrais encore, par cette épithète équivoque, nommer « moyens » des thèmes qui recèlent tout ce qui nous est – ou nous paraît – commun (ce qui n’exclut pas toujours le sublime) : Dieu, l’amour, la paix, le temps, l’espoir, pour évoquer les plus visibles. Si ce sont donc des thèmes de toujours, il reste qu’ils sont souvent difficiles. Le rôle de la poésie, à mon sens, c’est d’intervenir pour qu’ils soient vécus davantage comme sujets de pensées et d’expériences que comme sujets de complications avec suspension de la parole. Intervenir ? Pourquoi ? Auprès de qui ? Comment ? C’est ce que nous allons maintenant aborder successivement.

vendredi 11 janvier 2019

CRITIQUE LITTÉRAIRE : critique des critiques philosophiques


Maxence Caron, La Vérité captive, De la philosophie, Le Cerf, Ad Solem, 2009. 
2e éd. Les Belles Lettres, 2023

CRITIQUE

L’idée de ce livre, unique, est plutôt facile à penser, ou bien peut-être pas. Si pour tel ou tel lecteur curieux sa réputation ne le précède pas, son épais volume le préviendra tout de suite : un bon millier de pages. Toutes les bonnes bibliothèques universitaires le possèdent, c’est un critère. Le plus important sera de lire la préface de 300 pages. L’auteur y expose son thème et sa philosophie première à grands renforts de saillies pantagruélo-caustiques, de propos néologico-lyriques, d’embardées transcendantalesques vers son Principe, avec une langue de feu que lui envieront bien des séraphins. Tous les secrets de la mysticologie maxencéenne apparaissent dans cette prose de cœur, de chair et d’esprit. Il serait dommage de se priver d’une telle préface, car l’auteur y a déployé son grand art avec brillance, foudre, rage et clarté. 

Mais, dans les sections suivantes où l’auteur fera traverser l’épreuve du feu à d’autres pensées que la sienne, les confrontations avec les philosophes qu’il incrimine ne valent que pour des lecteurs qui connaissent déjà bien les œuvres en question. L’exercice du lecteur mal préparé s’apparentera, au mieux, à une fastidieuse lecture comparée. Le propos de Maxence Caron peut paraître didactique lorsqu’il s’en prend à Lévinas, Jean-Luc Marion et Derrida, et encore ! Mais il devient franchement ardu de le suivre quand ce sont Hölderlin, Hegel, Mallarmé, Heidegger, qu’il interpelle. — Dans la Bible, il est conseillé en plusieurs passages de veiller à trouver des témoins à un évènement auquel on assiste. Ainsi, si l’on n’est pas témoin des philosophies des auteurs examinés par Maxence Caron, il est à mon avis inutile d’en lire les pages. On n’y apprendrait rien. Rien en tout cas qui ne soit brillamment présenté dans la préface. À quoi bon fouetter dans le vide ? Seul une brave bête (ici, le brave lecteur) peut comprendre que son maître (le sujet de ce livre) claque du fouet devant elle. Le fouet, autrement dit, Maxence Caron. 

Le livre se termine sur un long poème. Je l’ai peu goûté. Trop de contorsions et de stupeurs hallucinées, trop de tintamarre et de grandiloquence suffoquée, trop de romantisme épouvantable et fardé à mon goût. Chacun au final trouvera ses entrées dans ce livre incroyable, selon sa sensibilité et son parcours de pensée. J’ignore si je lui ai rendu le moins du monde justice en le critiquant, et ma lecture telle que je l’expose ne rend pas compte nommément du sujet du livre, que l’auteur nomme la Différence fondamentale, mais j’ai voulu témoigner de mon approche en suggérant que l’auteur, éminent styliste, visionnaire inspiré et concepteur faramineux, n’est au fond pas le possesseur de sa philosophie, mais qu’il montre, qu’il donne à voir, qu’il spectacularise son sujet en faisant d’un sujet d’indifférence, la Différence fondamentale, en faisant de l’objet d’une risée, la Perfection vivante, en faisant enfin, d’un être spéculé, le Principe des principes. 

L’auteur, extrêmement prolifique, a aussi écrit un livre sur Johann Sebastian Bach. Il a encore publié récemment La Transcendance offusquée, moins réussi selon ma perception. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps. Il abordera d’autres philosophies dans de prochains ouvrages.

lundi 7 janvier 2019

CRITIQUE LITTÉRAIRE : Quartier libre à la langue de Molière, Racine...



 ALAIN BORERDE QUEL AMOUR BLESSÉE
, Réflexions sur la langue française, nrf GALLIMARD, 2014.

CRITIQUE :

Oui, c’est moi ! C’est moi ! Cocorico ! Sanitaires de la critique ! Parler droit, conférez-vous en le devoir ! Moi, ô moi, ta Muse, pourquoi, Français, m’as-tu abandonnée ? Je t’ai nourri. Au-delà de la tentation du vade-mecum, ce livre est un cri d’amour déchirant mais stratégiquement pensé et ordonné pour cingler l’écueil où la parlaison et l’écrivoiserie nous entraînent. Réac ? Que nenni, car de quel amour surpassé ! Néocons ? Fi d’un tel soupçon, car l’auteur m’a nantie de tous ses biens, et en enfer où je séjourne, j’ai grâce à lui l’agrément d’un certain confort. Je ne manque de rien pour survivre. Avez-vous lu un poème aujourd’hui ? Moi oui, le mien ! Castafiore, moi la langue française ? Oh écoutez, arrêtez votre mauvais esprit, et jouissez-moi un peu. Débutez-vous en me lisant ? Ce n’est pas désastreux ! Ni désespéré ! Mais regardez-moi autour de vous, je périclite ! Anglaise je fus ! Latine j’existe ! Grecque je professe ! Au-delà je crois ! Je serai moi demain. J’en pleurerais, et pourquoi ? Je suis comprise partout où on lit bien. Vous n’aimez pas mes voix ? Qu’attendez-vous pour me convoquer ? N’invoquez pas trop. Lisez. Ce livre est une pile de livres, un masse de pensées, une visite à mon chevet, une conversation avec moi. Avec vous ?

samedi 5 janvier 2019

Démissions

La Liberté guidant le peuple,
1830, Eugène Delacroix



Je t’aime, oh oui je t’aime, ô mère, ô douce France !

Pas d’un amour heureux ou qui aime à outrance...

Trop de cœurs impossibles, d’esprits dépeuplés
tout de langueurs acides au ventre plombés
trop de béances vides, d’amour rejeté
hantent ton corps avide et mourant de beauté...

Tant de cœurs impossibles, d’esprits dépeuplés
tant d’infamies passées dans le sang décuplées
écœurent les nations : écoute ton enfance !

Je t’aime, oh oui je t’aime, ô mère, ô douce France !



lundi 8 octobre 2018

Où David, isolé, réplique à la leçon mensongère de Roland


Roland Barthes (1915-1980)

« La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d'empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. »
Leçon inaugurale, Roland Barthes, Collège de France, 1977.


Maintenant, quoi qu’il en soit du contexte de cette phrase et ce qu’elle a pu signifier pour son auteur, ce n’est point la langue qui est fasciste, c’est l’Autre qui est totalitaire. L’Autre, s’il ou elle vous prive de tout présent, de tout espace, de tout avenir, ou de tout partage, de toute parole, peut conduire au sentiment du solipsisme, le sentiment de n’être plus qu’à soi dans un monde fictif, absent. Le fascisme serait une autre chose, un fardeau que l’on n’a pas choisi de porter, que l’on se doit de repousser. Or qu’est-ce qu’une parole, qu’un geste, qu’un acte de présence, de charité et d’amour, sinon tout ce que nous sommes libres de choisir ? Est-on il ou elle, en retranchant sa propre parole du monde, qu’un autre, à soi-même présent, fait exister vaille que vaille ; en lui faisant porter le fardeau du silence qui le ruine ? L’être tout-silencieux serait à bon droit le dieu : tout silence, tout paisible et pacifique, patient et tout à fait « non-fasciste ». Être libre et en paix, ce serait ça, singer Dieu et ne pas lâcher un mot ? Apporter la paix et la liberté ce serait ça, se taire, rester absent, silencieux ? S’il fallait faire face à ce dilemme, préférer être en guerre, plutôt que d’abolir la parole de l’Autre et la mienne, plutôt que de rendre les seules armes que ma nudité me laisse, cela seul serait être un homme, être une femme, sans retrancher sa parole ni du monde, ni de l’autre, car c’est cette parole qui fait le monde pour l’autre. Et lorsque la manne tomba du ciel sur le peuple errant au désert, n’était-ce pas un miracle pour ces affamés ? Et la parole, à l’être qui est privé de l’entendre, de l’écouter, de la sentir, n’est-elle pas un miracle pour cet opprimé lorsqu’elle lui revient, comme un droit, et n’est-ce pas un devoir de s’y efforcer ? Il y a des miracles à la portée de chacun, chacune. Le monde n’a pas de sens sans parole, sans le don de la langue. L’autre, c’est le monde et la vie, c’est le monde vivant qui rappelle à quelqu’un que nous ne sommes rien l’un sans l’autre.